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l’esprit politique n’a rien gagné au régime de silence qui lui a été longtemps imposé ; il n’a pas même profité des épreuves qu’il a subies, et si on cherche d’un autre côté le progrès moral, intellectuel, on ne le trouvera sûrement pas dans toutes ces idées bruyantes et vaines qui se déploient par instans avec une puérile superbe. Le progrès intellectuel, il n’est même pas peut-être aujourd’hui d’une façon bien évidente dans le dernier roman de M. Victor Hugo, l’Homme qui rit, œuvre d’une imagination puissante qui tourne dans le même cercle, s’égare dans les mêmes excès, et en est venue à se fixer dans un certain ordre de conceptions d’une monotonie grandiose et laborieuse. En réalité, on pourrait dire d’une manière générale que ces vingt ans n’ont été favorables ni à l’esprit politique, qui se réveille tout novice pour des luttes nouvelles, ni à la fécondité des intelligences, qui ont besoin de l’air salubre de la liberté pour se rajeunir sans cesse, pour éviter de s’égarer ou de s’énerver. L’expérience est faite, et elle est décisive.

Est-ce dans la politique extérieure que s’attestent ces progrès dont parle la brochure officielle ? On n’en dit rien, la brochure est sobre sur ce point, elle laisse échapper tout au plus un mot sonore malheureusement peu en rapport avec la réalité. Certes nous ne prétendons pas que la France soit sérieusement atteinte et touche à un déclin, pas plus dans la politique extérieure que dans tout le reste. La France porte toujours au plus profond d’elle-même la source des grandes inspirations de l’intelligence ou du patriotisme, et son action dans le monde est toujours de celles avec lesquelles il faut compter. Il n’est pas moins vrai qu’elle est engagée depuis quelques années dans une crise où elle sent bien qu’elle n’a pas grandi en influence et en autorité, où elle a parfois de secrètes impatiences de reprendre un ascendant qu’elle ne trouve pas assuré. Elle a l’instinct de cette situation, on sent en Europe que rien ne peut être définitif dans l’état actuel, et c’est là précisément ce qui fait cette paix incertaine et précaire, cette vie laborieuse et effarée pour tous les peuples, cette indécision de toute chose au milieu du déploiement des forces militaires qui se balancent. Est-ce là ce qu’on appelle un progrès ? Le progrès consiste aujourd’hui, il ne faut pas l’oublier, à savoir quel est l’incident qui pourra mettre le feu au monde. Pour le moment, ce ne sera pas l’incident belge, qu’on est arrivé à dégager de ce qu’il avait d’épineux et peut-être de politiquement dangereux pour le réduire aux termes d’un incident tout pratique de la vie commerciale des deux pays.

La négociation toutefois semble avoir été difficile, puisqu’elle a nécessité la présence de M. Frère-Orban à Paris pendant quelques semaines, et que jusqu’à la veille du départ du chef du cabinet de Bruxelles on n’était point parvenu à s’entendre, chacun restant sur son terrain très courtoisement, mais très fermement. Au dernier instant, tout s’est arrangé, ou du moins la négociation a pris une meilleure physionomie.