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nomenclatures. La France n’a pas passé vingt ans à dormir : elle a étendu le réseau de ses chemins de fer et de ses télégraphes ; elle a ouvert des canaux, quoique M. Pouyer-Quertier se plaigne qu’on n’en ait pas fait assez ; elle a construit des écoles, des églises, des hôpitaux et même des prisons ; elle a vu sortir de terre le nouveau Louvre, se multiplier les palais, Paris se transformer, et les Parisiens savent bien ce qu’il leur en coûte, sans compter que le débat est aujourd’hui entre ceux qui veulent qu’on achève l’œuvre commencée et ceux qui prétendent qu’on n’aille pas plus loin. Tout ce qui est matériel s’est développé sans contredit : la France a la satisfaction d’être le pays qui a le plus gros budget, la plus grosse armée, les plus gros traitemens, l’administration la plus complète, la capitale la plus somptueuse. Est-ce là tout cependant, et ce progrès matériel si complaisamment étalé devant les électeurs, ce progrès, fût-il aussi éclatant qu’on le dit, prouve-t-il que la France ait suivi depuis vingt ans la même marche ascendante en politique, dans sa vie intérieure et dans son action extérieure ? Voilà justement la question. Ce n’est pas que tout soit resté stationnaire et que les élections qui vont se faire ressemblent aux élections qui s’accomplissaient en 1852, au lendemain du 2 décembre. Tout a marché, le gouvernement et le pays. Le pays s’est lassé de n’être pour rien dans ses affaires, il se fatigue de plus en plus de la tutelle qu’il a longtemps subie ; le gouvernement lui-même a senti que l’omnipotence n’était plus de saison, qu’elle n’offrait plus pour lui que des dangers, et l’autre jour, dans une spirituelle réponse à M. de Maupas, qui se constitue décidément le chef de l’opposition dans le sénat, M. Routier a bien laissé voir encore une fois ces tendances nouvelles. De là ces apparences libérales d’une situation qui n’est plus certes ce qu’elle était il y a dix ans encore. Malheureusement nous faisons de courtes étapes, nous avons du chemin à parcourir, nous nous trompons quelquefois de route, et un des plus étranges phénomènes, c’est cette difficulté qu’on éprouve à rentrer dans les vraies conditions de la liberté une fois qu’on en est sorti. C’est tout un apprentissage à refaire, tant les notions les plus simples, les plus élémentaires, semblent oubliées. Le gouvernement veut être libéral, et il s’y essaie quelquefois, nous l’admettons ; seulement il lui manque d’accepter dans toute leur étendue les conséquences de cette politique nouvelle qu’il se fait honneur d’inaugurer ; il se crée pour son usage un genre de libéralisme inoffensif qu’il entend concilier avec ses habitudes, ses procédés d’omnipotence, et sans y songer il se prépare à lui-même plus d’une déception comme celle qu’il s’est ménagée à l’occasion de cette Histoire des princes de Condé, que M. le duc d’Aumale peut enfin publier aujourd’hui.

Qui pourrait suivre ce malheureux livre dans ses promenades à travers toutes les juridictions administratives, judiciaires ? A quoi ont servi ces persécutions puériles, cette interdiction jetée sur une œuvre de l’esprit, cette mainmise administrative sur une propriété inutilement