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suivi sur les champs de bataille. Nous ne relèverons même pas, si l’on veut, cette singulière coïncidence qui a conduit l’empereur à choisir justement la veille des élections pour écrire coup sur coup deux lettres destinées à produire quelque effet, l’une sur la suppression du livret des ouvriers, l’autre sur les pensions militaires. Nous laissons de côté tout cela ; mais ce qui est peut-être à remarquer, comme un signe caractéristique du régime actuel, c’est l’étrange position où les ministres eux-mêmes peuvent se trouver quelquefois placés par ces actes spontanés, imprévus, d’une politique toute personnelle intervenant dans les affaires au moment où l’on y pense le moins.

Le plus embarrassé a dû être évidemment l’honorable ministre des finances, surpris en pleine discussion du budget, en pleine campagne défensive contre l’invasion des dépenses nouvelles. Peu de jours auparavant, M. Magne se montrait intraitable. Cet homme poli et éclairé prenait des airs de cerbère gardant son budget et prêt à périr avec lui. Tout devait être perdu, si on faisait la plus légère brèche dans la situation financière, à tel point que pour l’intégrité de cette situation et pour l’honneur des principes il a fallu durement refuser une maigre somme de 250,000 francs que le corps législatif aurait voulu accorder à de vieux instituteurs dans le besoin. Survient la lettre de l’empereur sur le centenaire de Napoléon et sur les pensions des vieux soldats : aussitôt tout change, tout s’aplanit, on discute à peine, on vote sans savoir même au juste la charge qui en résultera. Que devient en tout cela l’inflexibilité des principes financiers ? M. Magne s’est tiré d’affaire, à la vérité, en montrant que la situation financière n’était nullement atteinte, que le corps législatif pouvait sans crainte s’associer aux générosités impériales, et de fait ce n’est pas le budget d’aujourd’hui qui paiera, c’est la caisse des dépôts et consignations qui fera les avances et qui sera remboursée par une prolongation de l’annuité de 2,700,000 francs actuellement accordée. De cette façon, le budget restera avec son équilibre, et les vieux soldats auront leurs pensions. Le biais peut être ingénieux. M. le ministre des finances est un homme d’une douceur aimable et d’une dextérité calme, qui présente les choses de la manière la plus naturelle. Au fond, si habile qu’il soit, M. Magne serait peut-être bien un peu embarrassé de concilier son attitude de la veillé vis-à-vis des instituteurs et son attitude du lendemain en face de la lettre impériale sur les pensions militaires ; il serait surtout embarrassé de prouver qu’une subvention qui dans son ensemble d’annuités dépassera 50 millions ne constitue pas un fardeau imprévu pour une situation financière déjà gravement engagée. Que la caisse des dépôts et consignations soit chargée dès aujourd’hui de ce service épargné au budget actuel, il faudra toujours la rembourser, il faudra lui payer les intérêts de ses avances : c’est un emprunt déguisé, spécial dans son objet et dans ses conditions, si l’on veut, mais qui n’est pas moins un emprunt à remboursement