pourtant, à la place de M. Lehmann, auraient eu de moins hautes visées ! Combien, en face des conditions qui lui étaient faites, se seraient contentés de tracer au hasard de la mémoire ou de la brosse une série d’honnêtes figures conformes aux patrons et aux usages consacrés en pareil cas ! Quels étaient en effet le champ et la destination du travail ? Il s’agissait de compléter par des ornemens de peinture quelconques la décoration des voûtes d’une salle de fête, de revêtir de couleurs, au-dessus de la corniche et pour l’amusement des regards qui pourraient atteindre jusque-là, cinquante-six espaces formés par des pendentifs et des pénétrations, — le tout ne représentant pas, en superficie, moins de cent quarante mètres carrés. Dix mois seulement étaient accordés pour l’accomplissement de la tâche. Passé ce terme, les échafaudages devaient être irrévocablement enlevés, et les travaux, achevés ou non, livrés à l’administration qui les avait commandés.
Sans doute il fallait quelque chose de plus que du courage pour aborder une pareille entreprise et la mener à bonne fin dans un aussi court délai ; il fallait, dans l’exécution comme dans l’invention, une facilité et une certitude appartenant à peine aux talens les mieux éprouvés, et que rendaient plus nécessaires encore les conditions si compliquées du programme volontairement adopté par M. Lehmann. Peindre en moins d’une année cinquante ou soixante figures isolées, remplissant convenablement chaque cadre, c’eût été là déjà une assez grosse besogne, surtout si l’on songe aux vastes proportions de ces figures et à la forme ingrate des compartimens qui devaient les contenir. Quelles difficultés ne s’imposait-on pas à plus forte raison en prétendant représenter, sur le champ de chaque pendentif, non un type unique et simplement décoratif, mais un groupe de plusieurs personnages, un véritable tableau ; en s’aventurant à résumer dans une suite de compositions formées de près de deux cents figures l’histoire tout entière du travail humain, depuis les premiers combats livrés par l’homme aux animaux féroces jusqu’aux plus savantes conquêtes de la pensée, depuis les rudes labeurs du laboureur ou du forgeron jusqu’aux généreuses fatigues du magistrat, du poète, de l’astronome ! M. Lehmann pourtant osa « tenter ce tour de force, » pour emprunter les termes dans lesquels un juge éminent appréciait ici même le récent travail du peintre[1]. Et M. Vitet ajoutait : « Jamais, à voir son œuvre, on ne se douterait que les heures lui aient été comptées. Ce n’est pas de l’improvisation, encore moins de la peinture de théâtre ; il n’y a là ni pochade, ni mélodrame : c’est du dessin arrêté et réfléchi, de la peinture d’un tissu ferme et serré. »
- ↑ Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1853, les Peintures de Saint-Vincent-de-Paul et de l’Hôtel de ville, par M. L. Vitet.