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pouvaient amplement suffire. Qu’était-il besoin d’un supplément de réflexions ou de conseils pour apprendre à discerner dans les fresques du Vatican des perfections d’exécution et de style que les exemples de M. Ingres avaient d’avance expliquées et. jusqu’à un certain point reproduites ? En irait-il ainsi de ces autres beautés plus mystérieuses qui tiennent aux intentions morales elles-mêmes, à l’ordonnance d’une scène, à l’interprétation poétique d’un sujet ? Les secrets de la composition proprement dite n’étaient pas de ceux qu’on cherchait le plus habituellement à pénétrer dans l’école à laquelle appartenait M. Lehmann, et s’il était arrivé à celui-ci de laisser pressentir dès le début des inclinations assez contraires aux coutumes environnantes, le tout n’avait guère été encore qu’affaire de tempérament ou simple signe d’origine et de race. Restait pour l’élève de M. Ingres à développer ces facultés natives, à féconder par la science ces instincts, en envisageant l’art et ses ressources au point de vue des idées pures aussi attentivement qu’il venait, à Paris, d’en étudier la langue et les conditions techniques. Peut-être, il est vrai, M. Lehmann poussa-t-il en ce sens les scrupules un peu loin, puisqu’il ne consacra pas moins de huit grands mois à ses méditations devant les œuvres de la nouvelle école allemande, à Munich ; peut-être les peintures qu’ont signées Cornélius et M. Kaulbach n’exigeaient-elles, pour qu’on en appréciât suffisamment les mérites, ni une contemplation aussi fervente, ni un examen aussi long. Elles avaient en tout cas ce danger d’exagérer le rôle de l’élément abstrait dans l’image de la vie, et par là d’entraîner ceux qui les admireraient avec trop de confiance sur la pente d’un idéalisme quintessencié, d’une scolastique pittoresque plus métaphysique que de raison.

M. Lehmann ne réussit pas d’abord à se tirer du péril sans quelque dommage pour la franchise de ses inspirations et de sa manière. Même à Rome, même en face de la nature italienne et des chefs-d’œuvre du XVIe siècle, les souvenirs qu’il avait emportés d’Allemagne semblent avoir si bien occupé sa pensée, si habituellement guidé sa main, que, dans les tableaux peinte par lui à cette époque, les traces de toute autre influence, deviennent presque accidentelles ou équivoques. Qu’on se rappelle, par exemple, cette Sainte Catherine transportée par les anges, qui ne fait guère que reproduire avec quelques variantes la composition de M. Mucke sur le même sujet, — ou bien cette Flagellation, renouvelée, sinon pour l’ordonnance, au moins quant aux intentions, du mysticisme, tantôt un peu grêle, tantôt emphatique, avec lequel les néo-chrétiens de l’école allemande avaient représenté des scènes analogues. Ce n’est pas que ces tableaux, aussi bien que les premières peintures décoratives exécutées par M. Lehmann après son retour à