Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une seule chance de conserver ses colonies, c’est de les contenter enfin en s’appuyant sur les sentimens de loyauté et les instincts de prudence qui persistent au fond du cœur de leurs meilleurs citoyens.

Les principaux habitans de Cuba et de Porto-Rico ne désirent pas devenir Américains, et ils ont bien raison. Les États-Unis leur apporteraient des institutions plus libres, mais il n’est pas du tout certain qu’ils leur promissent des impôts moins pesans. L’Espagnol tient les emplois, le Yankee absorberait les fortunes, s’approprierait le sol, entrerait dans les industries. Si la race espagnole opprime les races qu’elle rencontre sur son chemin, la race américaine les supprime, et peu à peu la noble terre où reposent les restes de Colomb serait inondée et submergée par la marée montante d’une population nouvelle, chassant peu à peu devant élire les hijos del païs.

Quel pourrait être au contraire le magnifique avenir de Cuba et de Porto-Rico, une fois que ces colonies seraient débarrassées de l’esclavage en haut et en bas ! La situation et la superficie de ces belles contrées en font les îles britanniques du Nouveau-Monde. La Havane peut devenir le Londres des tropiques. Le courant de la population européenne ou américaine peut apporter 20 millions d’habitans à ces terres capables de les nourrir sans cesser de produire ces denrées d’exportation, le sucre, le café, le tabac, le cuivre, le bois, les bestiaux, dont la demande en tous les pays suit une progression continue. Le drapeau de l’Espagne cesserait peut-être dans un avenir lointain de flotter sur le palais du gouverneur ; mais les liens de commerce et de consanguinité subsisteront entre les anciennes colonies et la métropole, devenues deux sœurs, au lieu d’être une maîtresse et une servante. Tels sont les rapports qui unissent désormais les États-Unis et l’Angleterre, comme deux parens qui ont oublié les discordes récentes de leurs pères pour ne se souvenir que de l’antiquité d’une commune origine.

Comment s’est conservée la belle colonie des Philippines, peuplée par 3 millions d’habitans[1], et pourquoi la puissance espagnole, malgré de redoutables voisinages, n’est-elle pas menacée à Manille ? Luçon n’est pas beaucoup moins secourable que Cuba aux finances espagnoles, et les bons tirés sur les caisses de Manille figurent à côté des bons tirés sur La Havane dans les plus utiles valeurs du trésor de Madrid ; mais les lois sont pleines de ménagement envers les Indiens. Si le tagal ne travaille pas beaucoup, du moins il est libre et heureux. Les fonctionnaires espagnols sont très peu nombreux, les indigènes prennent part aux emplois, et ils sont

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1852, le voyage aux Philippines de M. l’amiral Jurien de la Gravière.