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consacrerait à la conservation de ces précieux restes de la puissance coloniale de la patrie son dernier homme et son dernier écu. La France et l’Angleterre ont protesté de leur côté, car elles ont un grand intérêt à opposer une barrière aux développemens gigantesques de l’Amérique du Nord ; mais toutes ces protestations auraient été vaines, si elles n’avaient pas été appuyées sur l’inébranlable sentiment de loyauté de l’immense majorité des habitans des Antilles espagnoles malgré tant de justes griefs. Il y a eu sans doute à Cuba dans ce siècle bien des émotions, des agitations, des révoltes même, sans qu’on ait vu rompre le lien qui unit à l’Espagne cette île nommée dans tous les documens officiels l’Ile toujours fidèle, la siempre fiel isla de Cuba. Cette colonie ne s’est séparée de la métropole ni pendant la guerre avec le premier empire français, ni au moment de la révolte des colonies de l’Amérique du Sud, ni en 1837, lorsque les députés cubains et porto-ricains, légalement élus, furent injurieusement expulsés des cortès de Madrid, ni après les troubles de 1848, ni au moment de l’invasion de Lopez, si aisément arrêtée par le général Concha en 1855.

Il est vrai, les circonstances ne sont plus aujourd’hui les mêmes. Lorsque les États-Unis cherchaient à annexer Cuba, ils étaient divisés, et les états du sud étaient poussés par la honteuse ambition d’ajouter aux états à esclaves de nouveaux états à esclaves. C’eût été la capture d’un négrier par un autre négrier pour s’approprier la cargaison. Les États-Unis sont pacifiés, débarrassés de l’esclavage, ambitieux de grandeur et de conquête ; ils viennent d’acheter à la Russie ses provinces américaines du nord, la baie de Samana à Saint-Domingue, Saint-Thomas au Danemark, ils portent les yeux sur le Mexique en désordre, sur Cuba révoltée. La France et l’Angleterre empêchèrent en 1855 la spoliation de l’Espagne, elles menacèrent les États-Unis d’une intervention, et cette menace paralysa les mouvemens du général américain Quitman, qui devait appuyer l’invasion de Lopez. Les deux puissances sont toujours intéressées au maintien de la domination espagnole dans un archipel où l’ambition américaine rencontre presque tous les drapeaux européens ; mais l’Angleterre paraît peu portée aux expéditions lointaines, et il n’en peut plus être question de longtemps pour la France après l’issue de la guerre du Mexique. L’Espagne a donc à se défendre seule contre le mécontentement de ses colons, qui ne croient plus à ses promesses, et contre la convoitise de leurs voisins, que n’arrêtent plus les menaces de l’Europe. Ainsi isolée, livrée à l’anarchie et à la misère, elle ne peut pas détacher ou entretenir indéfiniment des flottes et des armées à 2,000 lieues de ses côtes. Les événemens semblent donc tous conjurés contre cette nation, qui a trop lassé la patience de ses sujets d’outre-mer. Il ne lui reste plus