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entre ses mains. Je vous communique cet ordre, comptant sur votre activité et votre prudence pour vous enquérir si ledit écrit existe dans le ressort de votre juridiction, et en cas affirmatif pour me le remettre, afin d’en prévenir la circulation. »


On aime à opposer à cette pièce la protestation des délégués, de l’île. Sans être aussi résolus que. les délégués de Porto-Rico, ceux de Cuba proposent que les propriétaires soient indemnisés par une combinaison fort inattendue, au moyen d’une vaste loterie de libération dont le plan est exposé à la suite, de leur rapport. Aucun voyageur ne débarque à La Havane sans être assourdi par les marchands de billets de loterie[1]. La loterie est le plaisir des blancs et des noirs, et comment ne croiraient-il pas, les uns et les autres, à un sort aveugle qui distribue les biens de ce monde, s’ils considèrent leurs destinées si différentes et si peu justifiées ? De là l’idée de faire servir cette habitude générale, qui déjà profite au trésor, à la liberté des esclaves. La loterie serait de la somme nécessaire pour rembourser en sept ans, au taux de 2,362 fr. 50 c, tous les esclaves valides. L’île y contribuerait sur son budget pour 50 millions, et les maîtres auraient à payer à la caisse, de la loterie le salaire de ceux des esclaves qui, ayant gagné la liberté, demeureraient à leur service pendant sept ans. Tous les esclaves recevraient des numéros. Un septième de ces numéros, sortant chaque année, procurerait la liberté à un septième des esclaves, dont le prix serait remboursé aux maîtres. Ceux-ci conserveraient pourtant ces esclaves à leur service jusqu’à la fin de la septième année, pour que leurs ateliers ne soient pas désorganisés. Au bout de ce temps, tous les esclaves auraient été affranchis, et tous les maîtres auraient été remboursés. C’est une espèce d’amortissement de l’esclavage par voie de tirage au sort. On ne peut évidemment avoir une opinion sur l’efficacité de ce moyen fort ingénieux que dans la colonie elle-même.

D’autres colons de Cuba demandent, à l’Espagne une indemnité payable en plusieurs années au moyen d’un emprunt. Les raisons de la solliciter sont excellentes, car l’Espagne a abusé des richesses de Cuba ; elle a reçu plusieurs fois en impôts la valeur des esclaves ; elle a encaissé 10 millions payés par l’Angleterre, elle a imposé l’esclavage, elle a regardé ses colonies comme une mine à exploiter sans merci. Si la légitimité de la demande est indiscutable, la possibilité d’y satisfaire paraît chimérique, vu l’état des finances de l’Espagne. Plus intelligens et plus résolus, quelques habitans de

  1. Voyez, les curieux récits de M. Ampère et de M. Ernest Duvergier de Hauranne dans les livraisons du 15 juillet 1853 et du 1er novembre 1868.