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fougueux qui nomment l’esclavage une chaîne paternelle ; il est de sages conservateurs qui n’ont qu’une solution : « laissez faire le temps, et n’émancipez pas sans une préparation lente. » Nous connaissons par expérience les périls de cette prétendue sagesse. Il est bien doux d’attendre quand on est maître ; pour l’esclave, attendre c’est souffrir plus longtemps, c’est mourir avant d’être libre. L’attente a déjà duré deux siècles. Le temps est sans doute un merveilleux agent de développement ; par malheur, on oublie trop que, s’il développe le bien, il développe aussi le mal. Confiez au temps vos moissons à mûrir, soit ; mais essayez donc de lui confier vos incendies à éteindre ! Le temps est précisément ce que nous avons le devoir de ne pas accorder au mal ; c’est lui donner le moyen de s’aggraver et de devenir incorrigible. Consultez les annales même de l’esclavage. Vous, Espagnols, vous n’avez pas voulu compter avec le temps, qui aurait présidé au développement graduel des sociétés coloniales sur ces terres ouvertes subitement à une nouvelle évolution de l’histoire des hommes. Vous avez voulu jouir vite, tirer promptement l’or de la terre, faire une fortune hâtive ; vous avez forcé le sol à produire et l’homme à travailler, et maintenant vos trésors mal acquis sont épuisés : le temps a grandi le mal de la corruption et le mal de l’oppression, le temps a épuisé les sources de la richesse, il a empoisonné les sources de la morale, et c’est du temps qu’après cette funeste expérience vous attendez le remède et la guérison ! Est-ce que l’esclavage, sur aucun point du monde, s’est éteint tout seul et graduellement ? — Les maîtres qui, aux premières paroles d’émancipation, demandent une initiation graduelle à la liberté avouent par cela même que cette initiation n’est pas même commencée, et que leurs esclaves, après dix ans comme après cinquante, sont toujours à l’état sauvage. Dire que l’esclavage est l’école préparatoire de la liberté, c’est dire que l’immobilité enseigne le mouvement ; il y a contradiction dans les termes. Il n’y a que la liberté qui apprenne à être libre. Tempérer, adoucir, user peu à peu la servitude ! cela rappelle, disent les délégués de Cuba, ces Indiens de la rivière Caura qui demandaient aux missionnaires la permission de manger de la chair humaine encore une fois tous les mois, puis tous les trois mois, puis tous les six mois, afin d’en perdre insensiblement l’habitude. Ces délégués et tous les habitans éclairés des deux îles demandent « qu’on applique immédiatement la hache à la racine de cet arbre maudit de l’esclavage, afin qu’il ne reverdisse jamais. »

Avant tout, ils réclament l’abolition complète, radicale, de la traite des noirs d’Afrique. On est las d’entendre répéter que cet abominable trafic fut pendant deux siècles une des ressources financières de