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déclara, dans son second article additionnel, que « les provinces d’outre-mer seraient gouvernées par des lois spéciales. » Depuis trente-deux ans, ces lois sont toujours demeurées à l’état de promesses, répétées par l’article 80 de la constitution de 1845 dans les mêmes termes, avec le même effet.

L’acte qui, malgré de nombreuses lois sans cesse violées, résume toute la législation politique des deux îles est l’ordonnance royale du 28 mai 1825. Les pouvoirs des capitaines-généraux y sont définis en termes auxquels on ne reprochera pas de manquer de clarté, « Le roi notre seigneur, y est-il dit, afin de conserver dans la précieuse île de cuba sa légitime et souveraine autorité et la tranquillité publique, vous accorde toute la plénitude des pouvoirs que les lois militaires confèrent aux gouverneurs des places assiégées. Par conséquent, sa majesté le roi vous accorde l’autorisation la plus étendue et la plus illimitée, non-seulement, pour exiler de l’île toute personne, quels que soient son rang, sa classe ou sa condition, dont la présence pourrait vous inspirer des soucis,… mais aussi pour suspendre l’exécution des ordres et ordonnances expédiés sur les diverses branches de l’administration publique. » En face d’un tel pouvoir, comparé par le gouvernement lui-même à celui du commandant militaire d’une place assiégée, il n’existe pas depuis 1837 à Madrid ni à La Havane l’apparence même d’une assemblée ou d’une corporation quelconque qui représente les droits, protège les intérêts, exprime les vœux de la population coloniale.

En revanche, la métropole est représentée dans les deux îles par un nombre de fonctionnaires véritablement fabuleux. La légion des solliciteurs d’emploi est peut-être plus considérable à Madrid qu’à Paris, et c’est beaucoup dire. A chacun des innombrables changemens de cabinet, on fait un remaniement des employés. Les petites affairés donnent lieu à des dossiers immenses qui partent pour le ministère des colonies à Madrid, et il faut payer des agens pour les en faire revenir après d’interminables délais. Selon, le témoignage de M. Queipo, fonctionnaire lui-même, la justice coûteuse et boiteuse de Cuba « est un ver rongeur qui mine l’île[1]. » A part quelques exceptions honorables, les fonctionnaires espagnols vont aux colonies pour s’enrichir. Les capitaines-généraux eux-mêmes sont des personnages politiques ou militaires que la faveur royale envoie faire fortune à Cuba ou à Porto-Rico, et, si l’on aime à environner de respect, comme purs de tout soupçon, un Valdès, un Serrano, un Dulce, on sait trop que la traite des esclaves a été pour plusieurs autres gouverneurs l’origine d’une richesse honteuse. Il y a longtemps que dans une dépêche officielle du 2 mai 1844 lord

  1. La Question de Cuba, par M. Queipo, 1850, p. 19, 20.