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seul article parlât de l’abolition de l’esclavage. Les délégués, plus ou moins rassurés par les promesses du gouvernement, consentirent à commencer leurs études sur le régime du travail ; mais ils eurent le courage et l’honneur de réclamer la discussion du principe même de l’esclavage. Sur les quatre délégués présens de l’île de Porto-Rico, il y en eut trois qui, dès le 8 novembre 1866, déposèrent un rapport où ils exposaient « que le premier questionnaire qui leur avait été présenté, tout en constatant l’existence de l’esclavage, laissait voir clairement la tendance du gouvernement à le perpétuer, chose aussi préjudiciable au bien-être de Porto-Rico que contraire à l’honneur de la monarchie espagnole. » En conséquence, ils désiraient s’abstenir d’étudier les questions posées, se bornant à demander « l’abolition immédiate de l’esclavage à Porto-Rico ; » ils la demandaient « avec ou sans indemnité, avec ou sans organisation du travail. » Cette généreuse protestation fut suivie d’une déclaration des délégués de Cuba. La question de l’esclavage, disaient ces derniers, était plus difficile à résoudre dans leur patrie qu’à Porto-Rico ; mais ils ajoutaient aussitôt qu’ils n’entendaient en aucune façon que la servitude fût perpétuée à Cuba, et ils proposaient de présenter à la commission un plan d’abolition graduelle. Ce plan fut en effet développé dans un rapport qui portait la signature de treize des délégués cubains.

La commission d’enquête travailla longtemps ; elle reçut tard un questionnaire politique, jamais le questionnaire économique ne fut présenté ; aucune solution ne fut votée, les discussions ne furent pas sténographiées ; les comptes-rendus analytiques des secrétaires et les rapports des délégués et des déposans, parmi lesquels figuraient le maréchal Serrano et le général Dulce, ne furent imprimés qu’à New-York par voie extra-officielle[1]. La publication en Espagne fut interdite. Le ministre, en congédiant la junta le 26 avril 1867, annonça le projet d’établir à Madrid un « conseil consultatif des colonies. » Ainsi fut terminée cette enquête. On le sait ailleurs qu’à Madrid, ces examens sont propres à deux fins très différentes. De même que l’on remue la terre avant de semer et qu’on la remue aussi avant d’enterrer, on voit les gouvernemens consacrer des enquêtes à préparer les réformes ou à les ensevelir. La nomination de la junta de 1866 rentrait dans les mesures de cette seconde catégorie ; mais son histoire démontre ce que nous affirmions en commençant : on accepte l’abolition de l’esclavage à Cuba et à Porto-Rico, on l’empêche à Madrid.

  1. Cette enquête a été parfaitement analysée dans l’important ouvrage écrit en français par M. Valiente, les Réformes dans les îles de Cuba et de Porto-Rico, avec une préface de M. Edouard Laboulaye. Paris 1869.