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Pendant qu’il punit les oppresseurs et qu’il venge l’univers, il permet à l’amour de le récompenser sans arrêter sa course. Les Hélènes, les Péribées, les Arianes, tant d’autres dont les noms lui sont même échappés, éblouies de sa gloire, charmées de ses grâces, briguent sa conquête, déplorent son inconstance, toutes le préfèrent, toutes sont préférées : on retrouve encore ici le vainqueur à qui rien ne résiste. La galanterie française applaudit à ces nouveaux triomphes, qui n’ont rien coûté à la gloire, et rapproche avec complaisance les deux brillantes moitiés d’une si belle histoire[1]. » Il est difficile, on en conviendra, de se mettre plus à l’aise avec la morale ; l’académicien Gaillard défigure avec une rare audace les vers de Racine, dont la pensée est précisément contraire à la sienne, puisque Hippolyte dit de son père :

Heureux si j’avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d’une si belle histoire.


La révolution a fait incontestablement disparaître le prestige qui s’attachait alors au libertinage paré du nom de galanterie. Nous ne voulons pas dire qu’elle ait fait disparaître du même coup les mauvaises mœurs. Il est possible qu’il n’y ait eu sous ce rapport qu’un déplacement avec aggravation de grossièreté. Ce qui est certain, c’est que cette grossièreté même a rendu la vertu plus facile aux personnes qui n’ont pas de goût pour l’irrégularité, tout en les disposant naturellement à être plus sévères pour celles qui s’y livrent. Mme de Rochefort, que nous sommes loin de confondre avec les autres femmes mal notées de son siècle, mais qui enfin ne paraît pas avoir été tout à fait irréprochable, serait probablement aujourd’hui moins tolérante pour elle et pour les autres, et au milieu de Pensées sérieuses et élevées, elle n’écrirait pas celle-ci, qui, malgré la délicatesse de la forme, porte l’empreinte de l’indulgente frivolité de l’époque où elle a vécu : « il y a au moins autant de différence entre une fantaisie et une passion qu’entre un madrigal et un poème épique. »


  1. Mélanges académiques, poétiques et littéraires, par M. Gaillard, de l’Académie française, t. Ier ; p. 337.