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impérieuses que tendres, mais qui ne déplaira peut-être pas aux autres : « Il n’y a qu’une seule chose qui puisse consoler d’être femme, c’est d’être celle de ce qu’on aime. Je crois même qu’une femme qui aime son mari est encore plus heureuse qu’un mari qui aime sa femme. Il est bien plus doux d’obéir que de commander à ce qu’on aime. On trouve un moyen toujours sûr de lui plaire en suivant sa volonté ; elle est aussi la règle de nos devoirs, et la source de nos plaisirs. Elle fixe nos idées, elle détermine nos goûts, elle donne une marche assurée à toutes nos actions. Telle qu’on nous peint la grâce efficace, elle nous transporte, elle nous transforme, elle nous entraîne, et cependant n’ôte point le mérite de la liberté. » — « Rien ne coûte, dit-elle encore, à un cœur véritablement touché, que de ne pas tout faire pour ce qu’il aime, et que de ne lui pas tout dire. » Il y en a aussi d’une nature plus grave, qui sont toujours intéressantes par un rare mélange de distinction, de sagacité et de bonté. « J’ai vu, au grand déplaisir de mon cœur, que la crainte seule maintient l’ordre parmi les hommes. — Il ne suffit pas d’avoir un cœur excellent, il faut encore avoir l’âme très délicate pour ne jamais blesser les malheureux. — Le caractère distinctif de la vanité est l’inquiétude ; jamais elle n’est tranquille, et c’est ce qui rend les Français si difficiles à gouverner. — Il y a deux politesses : la politesse du cœur et celle des manières. La première sans la seconde devrait suffire, et ne suffit point parmi nous. La seconde sans la première suffit souvent, et ne devrait jamais suffire. »


V

Walpole n’a vu le salon de Mme de Rochefort que sous un seul de ses divers aspects. Il n’était pas seulement un petit cercle d’admirateurs à la dévotion du duc de Nivernois. La correspondance nous le montre fréquenté par des personnages très variés. On peut citer non-seulement toutes les anciennes relations de l’hôtel de Brancas, gens de qualité, hommes et femmes, et gens de lettres, les Flamarens, les Maurepas, les Bernis, les Hénault, les Duclos, et Mme de Mirepoix, mais aussi un assez grand nombre de figures nouvelles : la bizarre princesse de Talmont, qui habitait également le Luxembourg, personne épineuse, disait Mme de Rochefort, et de laquelle il ne faut approcher qu’avec précaution, si l’on ne veut pas être piqué[1],

  1. C’est elle qui a inspiré la moins connue, mais non pas la moins ingénieuse des saillies de Mme de Rochefort. Mme de Talmont avait été l’amie du dernier des Stuarts, et elle portait un bracelet offrant d’un côté le portrait du prétendant et de l’autre une figure du Christ. On se récriait sur l’extravagance de ce rapprochement. « C’est bien simple, dit Mme de Rochefort, les deux figures signifient également : mon royaume n’est pas de ce monde. »