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l’accable[1] ; il a beau les repousser, l’impression se fait toujours, et le mal demeure. Il étouffe depuis deux jours, et les lettres d’hier au soir n’ont pas dégagé sa respiration. S’il était livré à lui-même, il y a longtemps que sa malheureuse famille l’aurait perdu. Vous verrez par sa lettre où il en est. Je trouverais bien heureux, s’il était obligé d’aller à Paris, que son voyage se combine avec le vôtre. Pour votre tendre amie, madame la comtesse, vous savez bien de quel côté son affection la porterait. Sa conduite sera matière à conseil quand le temps sera venu. Mon fils aîné[2] se porte à merveille ici, il s’y plaît beaucoup, et il y est très aimable. Ce que vous me dites de mon jeune amant[3] m’a tranquillisée. J’avais un peu d’inquiétude que quelque catarrhe ne l’eût étouffé, n’en ayant point eu de nouvelles, quoique nous nous fussions juré tendrement de nous écrire. Il est vrai que c’était à moi à commencer, aussi lui ai-je écrit un mot hier. »


« Saint-Maur, 19 juillet 1763.

« J’ai reçu hier, mon cher cœur, répond Mme de Rochefort, votre lettre du 14, et je n’ai point reçu celle que vous me dites que notre ami avait écrite la veille, ce qui m’a d’abord donné de l’inquiétude, et puis j’ai pensé que cette lettre écrite à Saint-Maur était apparemment pour M. de Nivernois, qui est allé hier matin à Paris. Si notre ami avait besoin de conseil, il l’a fort bien adressée Après cela, je vous dirai de mon chef qu’il est très bon de s’occuper de ses tristes affaires pour y remédier, mais très sot d’en étouffer. Il me paraît insensé et bien faible de se tuer pour des ennemis, au lieu de vivre pour ses amis, surtout quand on est au milieu des derniers ; cela est impardonnable. En présence des objets de notre déplaisance, je conçois qu’on étouffe de colère ; mais, comme nous ne devons jamais nous retrouver à pareille fête, que c’est à cela que tend toute notre industrie, il faut savoir appuyer son âme sur toutes ses ressources et jouir de tous les avantages de la

  1. C’est-à-dire par les menaces de procès que lui fait sa femme.
  2. Mme de Pailly n’a point d’enfans ; c’est tout simplement son père qu’elle appelle, mon fils aîné, parce qu’elle le gouverne comme elle gouverne son mari, souvent désigné par elle sous le nom de mon vieil enfant.
  3. Le jeune amant, c’est le président Hénault, alors âgé de soixante dix-huit ans, et dont la passion déclarée pour Mme de Pailly est un texte inépuisable de plaisanteries entre elle et Mme de Rochefort. Voici le passage qui le concerne, et auquel répond Mme de Pailly. « Nous avons eu hier, lui avait écrit Mme de Rochefort, votre jeune amant ; j’ai été ravie de le trouver un peu moins assoupi ; aussi l’avons-nous bien diverti. Nous avions les Montazet, et nous lui avons donné grande musique. Vous croyez bien qu’il n’a pas négligé la sienne, dont il donnait en héros d’une manière si comique qu’il nous a fait mourir de rire (*), et par là, il a fait grand bien à M. de Nivernois, qui avait passé la plus mauvaise nuit du monde, car ses nerfs ne se rassurent point. »

    (*) Ceci veut dire sans doute que, quoique moins assoupi, le vieux président avait encore des accès d’un sommeil très bruyant.