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Pourtant il y a là encore un procès à réviser. Sans méconnaître le caractère fâcheux de l’influence exercée par Mme de Pailly sur le marquis de Mirabeau, il faut dire que, quand cette influence devint prépondérante, la plus grande partie du mal qu’on lui attribue était déjà faite. Le marquis avait pris depuis longtemps en aversion sa femme, contre laquelle il prétendait avoir les griefs les plus sérieux. L’antipathie était plus grande encore de la part de sa mère, à laquelle il était profondément dévoué, et qui ne pouvait plus supporter sa belle-fille[1]. Les deux époux se séparèrent d’abord à l’amiable en janvier 1762. La marquise alla vivre auprès de sa mère en Limousin, et depuis cette époque jusqu’en 1775, où elle se décida à attaquer son mari devant les tribunaux et devant le public par des mémoires très violens, toute la difficulté entre eux avait porté non pas sur une reprise de la vie commune, dont ils ne se souciaient pas plus l’un que l’autre, mais sur le règlement de leurs intérêts respectifs et sur la prétention, à la vérité exorbitante, du marquis de forcer sa femme à vivre en province et dans un lieu déterminé.

Les lettres de Mme de Rochefort au mari écartent presque toujours la femme, pour laquelle elle n’a aucun goût, même quand les deux époux vivent encore ensemble. Lorsqu’une fois ils sont séparés et lorsque commence entre eux ce long débat d’intérêts qui dure treize ans avant d’éclater devant le public, Mme de Rochefort et le duc de Nivernois prennent vivement parti pour le mari, et tous deux s’accordent à exprimer une égale sympathie pour celle qui a remplacé ou qui doit remplacer la femme. Mme de Rochefort ne connaît Mme de Pailly que depuis février 1761, et en juillet 1762 elle écrit : « J’aime tous les jours davantage ma voisine[2], le commerce que j’ai avec elle me développant tous les jours de plus en plus les trésors de son cœur. » Dans cette même année 1762, le marquis étant parti pour le Limousin afin d’essayer de s’entendre avec sa femme et sa belle-mère pour l’arrangement définitif de leurs intérêts communs, Mme de Rochefort lui écrit : « Je ne suis plus en peine de ma voisine, elle est à la campagne, elle jouit de la douceur d’être avec votre digne mère, elles se font du bien réciproquement en pensant à celui que cette idée vous doit faire. » Ainsi, par un renversement des rapports réguliers assez commun au XVIIIe siècle, la vieille et pieuse mère du marquis de Mirabeau,

  1. Il faut dire aussi en passant que le frère du marquis, le bailli de Mirabeau, qui se prononce quelquefois assez vivement contre Moe de Pailly, parle bien plus durement encore de la femme de son frère.
  2. Mme de Pailly habitait à cette époque le palais du Luxembourg, chez sa sœur, qui y avait aussi un logement.