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soit un des plus anciens amis du duc, et assez porté par caractère à ne se subordonner à personne ; il est très visible, dans cette correspondance, qu’il a besoin de son ami et qu’il le flatte souvent en utilisant son crédit au profit de ses affaires. « Pendant vingt-huit ans de la plus constante amitié, écrit-il lui-même le 13 septembre 1702, mon digne et illustre ami ne m’a pas donné une seule fois le plaisir de lui être bon à quelque chose, tandis que je l’ai toute ma vie employé à tout. » On peut même dire que la trop grande complaisance du duc de Nivernois à mettre au service du marquis de Mirabeau son influence de cour, toujours assez grande, même aux époques de demi-disgrâce, fut très nuisible à celui-ci. Au lieu de s’en rapporter aux tribunaux et à l’opinion dans ses démêlés avec sa femme et son fils, le marquis se laissa entraîner, sous prétexte d’éviter le scandale, à recourir à l’odieux moyen des lettres de cachet. D’un autre côté, cet excès de complaisance de la part du duc de Nivernois eut pour résultat, après quarante ans d’une liaison intime, de le brouiller avec son ami. Ce dernier en effet, avec l’égoïsme naturel à ceux qu’on a trop servis, trouva fort mauvais, lorsque son despotisme conjugal et paternel fut dénoncé au public, que le duc de Nivernois, toujours prudent, ne voulût pas s’exposer à partager son impopularité en s’associant trop ostensiblement à sa cause. C’est ce que le marquis de Mirabeau appelait faire la cane. Quant à Mme de Rochefort, malgré l’influence du duc de Nivernois sur ses déterminations, elle ne se croyait pas tenue d’agir en tout absolument comme lui, car le marquis déclare souvent qu’elle lui a été plus fidèle que le duc.

Il n’en est pas moins vrai que l’admiration pour M. de Nivernois est à l’ordre du jour dans le salon de Mme de Rochefort. Il est facile toutefois de reconnaître, en ce qui concerne la comtesse, que c’est non une préoccupation de crédit, mais un sentiment sincère et profond qui entretient son enthousiasme. Il s’agit maintenant de rechercher quelle est la nature de ce sentiment et de voir si au XVIIIe siècle, à côté de l’irrégularité affichée dans les hautes classes, à côté de ces arrangemens connus de tous et acceptés par tous, sous le voile très transparent d’une liaison d’amitié, il n’y avait pas une autre catégorie d’irrégularités plus secrètes, plus délicates, se conciliant avec des devoirs, des relations, qui au premier abord semblent les exclure. Telle est la question qui se présente au sujet de Mme de Rochefort.

On se rappelle le mot de Walpole, qui la qualifie « l’amie décente » du duc de Nivernois. Entend-il par là qu’il n’y a jamais eu entre eux que de l’amitié ? Cela n’est guère probable, puisqu’après avoir dit qu’il ne faut pas croire les nouvellistes, il ajoute