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plus souvent possible. C’est aux courtisans de cette seconde catégorie que l’auteur prescrit des règles de conduite dans leurs rapports avec leurs égaux, c’est-à-dire leurs rivaux, avec les ministres, avec les favoris, quelle qu’en soit l’espèce, que ce soit la reine ou une maîtresse, un confesseur ou un domestique, et enfin avec le maître lui-même. On a là tout un code ingénieux destiné à concilier l’habileté avec la probité, et qui ouvre des jours lumineux sur les misères des gouvernemens d’autrefois. Ces misères n’ont pas disparu des gouvernemens d’aujourd’hui ; mais elles se présentent sous d’autres formes. Un professeur d’habileté dans l’art de faire honorablement son chemin n’écrirait probablement pas de nos jours des pages si développées et si fines sur la conduite qu’un courtisan honnête homme doit tenir avec la maîtresse du roi. Dès que celle-ci se mêle des affaires publiques, il faut traiter avec elle comme avec le ministre le plus grave et le plus consommé ; s’il importe de ne pas l’ennuyer, il faut bien se garder de lui laisser voir qu’on la croit capable d’être ennuyée par les choses sérieuses ; il est aussi essentiel de lui paraître solide que d’éviter de lui paraître pesant. Il est bon aussi, suivant le duc, de chercher à se rendre aimable et même intéressant ; mais, si l’on réussit, faut-il travailler à aller plus loin ? Grave question où le moraliste mondain distingue entre un courtisan et un ministre. « Si la maîtresse du roi est, dit-il, une femme honnête, à cela près de son intrigue avec le roi, un honnête courtisan doit s’abstenir, par scrupule pour elle, de travailler à la séduire ; si c’est une femme vile et malhonnête à tous égards, il doit s’en abstenir par scrupule pour lui. Le ministre, qui est dans une situation forcée, peut n’y pas regarder de si près. C’est un danseur sur la corde, qui saisit le premier objet venu pour lui servir de contre-poids, sans examiner quelle en est la matière : il suffit que cela lui serve à sauter le plus haut et à tomber le plus tard qu’il pourra ; mais le courtisan marche terre à terre, il n’a pas besoin de secours étranger, et il lui suffit de marcher droit et avec précaution. Ainsi, que les ministres fassent à cet égard ce qu’ils jugeront à propos, mais que les courtisans ne se permettent pas d’intrigue de galanterie avec la maîtresse du roi. »

Ce raisonnement, basé sur la distinction entre l’état précaire de ministre et l’état plus solide de courtisan, peut paraître bizarre. Il ne l’est pas autant peut-être que la discussion qui suit : il s’agit de savoir ce que doit faire un courtisan honnête qui jouit de la confiance du prince et à qui celui-ci demande son avis sur les affaires publiques. Il semble que la réponse est facile et qu’il va sans dire que le courtisan honnête n’a qu’à donner consciencieusement l’avis qui lui est demandé. Point du tout, l’honnêteté serait