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C’est alors, mais, alors seulement, que ce mari volage s’aperçoit que sa femme est plus agréable que les crédules beautés dont il a été le prompt séducteur. Elle était fort agréable en effet, à en juger par le portrait trop mythologique, mais gracieux, qu’il nous fait d’elle, soit qu’il la représente habile aux jeux de Terpsichore, bondissant et volant au signal des concerts, ou bien courant dans la prairie avec ses beaux cheveux qui flottent au gré des zéphires amoureux, ou bien encore « initiée aux secrets de Castor, » c’est-à-dire habile écuyère, domptant et dirigeant un cheval fougueux. Il paraît que la jeune duchesse n’a qu’un défaut, elle abuse du rouge, et c’est pour la guérir d’un travers alors très commun que son mari consacre une élégie tout entière, la septième, à la critique de cet ingrédient de toilette. Son dernier argument est plus ingénieux que modeste.


Sois mon exemple, et que dans ta parure,
Comme en mes vers, règne le naturel.
Anéantis ou modère l’usage
De ce carmin, mon tourment éternel,
Et rends les droits qu’usurpe ton pastel
À l’artisan de ton joli visage.


Le poète-colonel n’avait guère écrit que ces élégies intimes, dont le ton, quoique toujours élégant, semble parfois un peu libre pour l’expression de l’amour conjugal, ce qui n’empêchait pas l’auteur de les lire à ses amis, notamment à l’abbé de Bernis, qui célèbre à son tour Nivernois et Délie. Il avait composé aussi des Réflexions sur le génie d’Horace, de Boileau et de Jean-Baptiste Rousseau ; mais ce travail n’avait pas été non plus communiqué au public. L’Académie ne l’en choisit pas moins à vingt-sept ans, en 1743, pour succéder à Massillon. L’archevêque de Sens, Languet, qui le recevait comme directeur de l’Académie, recevait le même jour Marivaux, et son discours en partie double est assez amusant. Au jeune duc, qui suit, dit-il, Apollon sans manquer à ce que Mars attend de lui[1], le bon archevêque recommande de se préserver d’un excès de modestie qui l’empêche de produire au grand jour les morceaux de littérature qu’il garde en portefeuille. Quant à Marivaux, le prélat se défend d’avoir lu ses nombreux ouvrages. Cependant il essaie de les caractériser, et il ajoute : « Voilà, m’a-t-on dit, ce qui se trouve répandu dans cette foule de romans et de pièces de théâtre que vous avez donnés au public avec une prodigieuse fécondité. » Le duc de Nivernois ne suivit que très tard le conseil donné par l’archevêque de Sens, puisque c’est seulement

  1. Le duc de Nivernois se retira du service quinze jours après sa réception à l’Académie, avec le grade de brigadier.