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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous êtes insensible aux avances de cette pauvre Mirza ! interrompit-elle en montrant du doigt le carlin, qui venait de poser ses deux pattes de devant sur le mollet de l’abbé et s’allongeait en bâillant de toutes ses forces.

Le bon curé caressa la tête ébouriffée de Mirza, qui se détourna en faisant une moue dédaigneuse, et s’en alla s’accroupir aux pieds de sa maîtresse. Il ouvrit sa tabatière, prit une pincée de tabac et resta un instant la main en l’air, l’œil perplexe, comme un homme qui cherche son chemin ; mais il avait dans le caractère cette douceur têtue qui se pique au jeu. Après deux secondes d’hésitation, il prisa résolument, ressortit de sa coquille, reprit le vent, allongeant devant lui ses honnêtes tentacules, qui ne soupçonnaient le danger qu’après l’avoir palpé. — Ah ! madame, continua-t-il, comme vous le disiez à Robert, le mariage est une institution sainte, à laquelle soiît attachés de bien grands devoirs !… Mon Dieu ! il s’élève souvent dans les ménages de ces petites bisbilles… On s’échauffe, on s’aigrit ; comme le disait saint Jérôme, on fait d’une mouche un éléphant. Et souvent il suffirait de se conter l’un à l’autre ses petites raisons, de s’expliquer ensemble le cœur sur la main… On finit par s’entendre, on s’embrasse, et quelquefois on s’aime plus qu’avant, car, selon le mot d’un poète profane, les petites picoteries réveillent et rajeunissent les grands attachemens… Madame la comtesse connaît l’Évangile aussi bien que moi. — Femmes, a dit l’apôtre, soyez soumises à vos maris !… — Oh ! ce n’est pas que je prenne aveuglément le parti des maris. Il en est de bourrus, de fâcheux, qui grondent hors de propos, qui ont le verbe haut et l’humeur brusque ; mais les âmes aimantes, comme la vôtre, madame, adoucissent toutes les aspérités, émoussent toutes les glaces, fondent tous les angles…

Elle frappa un grand coup sec de son éventail sur le bois du sofa, et dit : — On ne fond pas un angle, monsieur le curé. — Et d’une voix où grondait l’orage : — Vous souvient-il, ajouta-t-elle, que je vous avais promis de vous donner un orgue pour votre église ? Le fabricant m’en demande un prix extravagant. Je lui écrirai demain, et j’espère l’amener à composition. Autrement…

— Ah ! madame, s’écria-t-il avec effusion, pourrai-je jamais vous remercier assez de toutes les faveurs dont vous comblez ma pauvre église ? Un orgue ! ce fut toujours mon rêve. Cependant, je vous l’avouerai, je serais plus heureux encore si, grâce à mon humble intercession, M. de Liévitz…

A ce mot, elle se dressa d’un bond. — Vous dites ?… s’écria-t-elle avec un accent si terrible qu’il crut entendre Dieu tonner. Il sentit que sa barque venait de toucher et s’était engravée. Il leva timidement les yeux sur Mme de Liévitz, mais il ne put soutenir l’é-