Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amoureuses inspirées par sa femme. Le phénomène est incontestable ; mais, pour rester dans la vérité, il ne faut pas l’exagérer, comme l’ont fait successivement les deux académiciens qui ont écrit à trente-trois ans de distance l’éloge du duc de Nivernois[1]. Il est vrai que celui-ci a été de 1741 à 1746 très amoureux de sa femme, et l’a célébrée sous le nom de Délie. Toutefois la date de son mariage rapprochée de celle des élégies et les torts dont il se reconnaît lui-même coupable envers Délie doivent tempérer un peu notre admiration.

Il était né le 12 décembre 1716[2]. Il fut marié à l’âge de quatorze ans, le 17 décembre 1730, avec Hélène-Angélique-Françoise Phélippeaux, fille du comte de Pontchartrain, alors ministre de la marine. La jeune personne, née, si nos documens sont exacts, en mai 1715, avait un an et demi de plus que son mari. C’était un de ces mariages d’enfans que les grandes familles d’autrefois arrangeaient souvent entre elles avant même que les contractans fussent en état d’avoir un avis. Il va sans dire qu’en pareil cas on attendait que les époux eussent l’âge convenable pour leur permettre de vivre ensemble ; mais il n’est guère probable que le jeune duc de Nivernois ait attendu jusqu’en 1741, date de sa première élégie, car à cette époque il avait vingt-quatre ans, et il avait déjà fait une campagne à la tête du régiment de Limosin-infanterie ; lui-même d’ailleurs s’accuse d’erreurs nombreuses.

Il fut un temps où, de faveurs avide,
Je prodiguais mon hommage amoureux.
………
Prompt séducteur de crédules beautés,
Heureux le soir et le matin perfide,
Je savourais l’attrait du changement ;
Mais d’un cœur fait pour aimer constamment
Le changement remplissait mal le vide.
  1. Le sénateur François (de Neufchâteau) en 1807 et M. Dupîn aîné en 1810.
  2. Tous les biographes le font naître, d’après François (de Neufchâteau), le 16 décembre ; mais le duc de Luynes, qui est l’exactitude personnifiée, nous apprend dans ses Mémoires qu’il a entendu le roi Louis XV demander à Mme de Nivernois la date juste de la naissance de son mari, et qu’elle a répondu le 12 décembre. Peut-être y avait-il un peu d’incertitude sur ce point, parce que le duc avait été baptisé très tardivement, le 3 avril 1723. Il eut pour parrain l’ambassadeur de Venise, Morosini, qui lui donna son prénom un peu bizarre de Barbon, de sorte qu’il s’appelait Louis Henri-Jules-Barbon Mancini-Mazarini. Il était petit-fils de ce duc de Nevers qui, comme le dit spirituellement M. Sainte-Beuve, se fit une méchante affaire auprès de la postérité pour avoir protégé Pradon contre Racine. On se tromperait cependant si, le jugeant sur ce caprice de grand seigneur, on le tenait pour un sot. Il ne l’était pas ; il écrivait même agréablement, quoique avec bizarrerie, on prose et en vers. Quant au père du duc, il a peu fait parler de lui. Piron, qui lui adresse une épître sur la Goutte, le présente comme un homme aimable et galant, quoique goutteux.