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Provence, depuis Louis XVIII, en expulsant probablement tous les titulaires de logemens gratuits, Mme de Rochefort adresse au roi un mémoire rédigé et écrit par le duc de Nivernois dans lequel il est dit « que, pour entrer en jouissance de l’appartement qui lui avait été concédé en 1758, elle a dû payer à M. de Turpin, qui l’occupait, une somme de 20,000 livres, et se charger de plus d’une rente viagère de 2,400 livres à M. de Croix, qui l’avait cédé lui-même à M. de Turpin à cette condition, qu’elle paie depuis dix-huit ans cette pension à M. de Croix, et que par conséquent son appartement, sans parler des dépenses d’intérieur qu’elle y a faites, représente pour elle, en 1776, une somme d’environ 80,000 livres. » Au bas de ce mémoire, le comte de Provence a écrit de sa belle plume les lignes suivantes : « Dans le cas où j’aurai le Luxembourg, je le laisserai à Mme de Rochefort. Signé : Louis-Stanislas-Xavier. » Les princes n’ayant pas toujours le temps d’écrire avec une précision suffisante, ceci veut dire que le frère du roi s’engage à laisser à Mme de Rochefort la jouissance de l’appartement qu’elle occupe. Cet appartement était d’ailleurs fort agréable et accompagné d’un jardin réservé. « Je suis revenue pour quelques jours, écrit Mme de Rochefort en septembre 1759, dans mon petit ermitage, qui est fort gai. Mon jardin n’est pas si parfumé que ce printemps ; mais il est plus riche, grâce aux reines-marguerites, qui font un émail admirable, ce qui me console des jacinthes : d’où j’ai tiré une réflexion très morale, c’est que, puisqu’il y a des fleurs dans l’arrière-saison, il ne faut pas tant regretter la jeunesse, qui est notre printemps. » C’est surtout à partir de la fin de 1760 et à l’occasion d’un grand événement de la vie du marquis de Mirabeau, que les lettres de Mme de Rochefort prennent un caractère de plus en plus affectueux.

On sait que l’auteur de l’Ami des hommes, encouragé par le succès de son premier ouvrage, entreprit, dans sa Théorie de l’impôt, de démolir tout le système financier alors existant, et en particulier l’organisation de la ferme-générale. Le ministre des finances et les fermiers-généraux n’eurent pas grand’peine à convaincre Louis XV que ce livre, très hardi, publié au milieu des embarras d’une guerre ruineuse, était d’un factieux et méritait un châtiment. Le marquis fut arrêté le 19 décembre 1760, avec beaucoup de politesse d’ailleurs, et conduit à Vincennes. Il y fut emprisonné, non pas dans le sombre donjon où il devait plus tard tenir lui-même son fils pendant trois ans et demi, mais dans le château, où il fut entouré de tous les égards dus à son rang. Au bout de cinq jours, le roi se laissa fléchir par les instances des amis du prisonnier, notamment du docteur Quesnay, médecin de Mme de Pompadour, que l’auteur de la Théorie de l’impôt appelait son maître, et du duc