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pays demeuré absolument cambodgien, malgré la domination étrangère. Dans les provinces de Suren, Coucan, Sanka et Tchon-kan, — cette dernière limitrophe d’Angcor, — la population conserve la langue de l’ancien royaume dont nous protégeons les débris. Ce territoire sépare des autres possessions siamoises les provinces situées sur le Mékong jusqu’à la hauteur du 15e degré de latitude nord environ ; il a conservé une sorte d’autonomie, car le roi de Siam, ménageant les patriotiques susceptibilités des habitans, ne leur donne que des gouverneurs de leur race.

La nature semble donc avoir pris soin de délimiter elle-même le champ que nous aurons à défricher dans la partie inférieure de la vallée du Mékong. Des deux côtés du grand fleuve, le Sé-mun ou rivière d’Ubône et le Sé-don bornent la zone dans l’intérieur de laquelle notre influence est appelée à prévaloir. Sur la rive droite, les anciennes provinces cambodgiennes que je viens de nommer paraissent être d’une fertilité remarquable. La production de ces provinces, surexcitée par des débouchés nouveaux, par l’ouverture de routes que la constitution géologique du pays rendrait faciles à faire, viendrait augmenter le commerce d’exportation de Saigon. Sur la rive gauche, en-deçà du Sé-don, la contrée est moins favorisée, comme nous l’avons constaté pendant notre excursion à Attopée, mais derrière la lisière occupée par les Laotiens, derrière l’étroit territoire où vivent éparses dans leurs forêts quelques tribus sauvages, se trouvent les Annamites, auxquels on ne peut s’empêcher de songer en voyant un sol naturellement fertile à peine habité et à peine cultivé par une population indolente, que le mandarinisme dévore. La race intelligente dont nous avons tiré déjà un merveilleux parti dans les six provinces de la Basse-Cochinchine franchira peut-être un jour les montagnes qui la séparent du Laos, et transformera cette contrée par ses œuvres comme par la salutaire influence de son exemple.


L.-M. de Carné.