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bambin qui sent son importance. Il se préparait à subir l’opération de la tonte du toupet, opération en usage à Siam et au Cambodge aussi bien qu’au Laos, et qui indique que l’enfant a franchi la limite qui le séparait de l’adolescence. Quand le ciel eut été suffisamment imploré, le souverain alla se placer sous une espèce de dais élevé dans la cour sur un rocher artificiel et communiquant de plain-pied avec la terrasse du palais ; là, se dépouillant de ses riches habits, il revêtit un blanc costume, et les bonzes firent pleuvoir sur lui un déluge d’eau lustrale et parfumée. Quatre colombes captives reçurent successivement la liberté des mains du nouveau roi : elles s’envolèrent en passant par-dessus la tête du peuple agenouillé. Ce gracieux symbole paraissait être une cruelle ironie. Tout cela, en somme, était plus curieux qu’imposant, et j’évoquais malgré moi l’image de ces pompeuses cérémonies orientales rêvées jadis après la lecture de quelque écrivain abusé ou menteur. Les femmes étaient complètement exclues de la solennité. On pratique des fentes dans les murailles pour qu’elles puissent en pareille circonstance satisfaire le plus impérieux de leurs besoins, la curiosité. Ce n’est pas la jalousie des hommes qui les force à se cacher comme en Turquie. On ne les juge pas dignes de paraître dans les fêtes de ce genre, voilà tout. Des réjouissances furent offertes le soir au public dans la cour du palais ; quand nous nous y rendîmes après notre repas, tout venait de finir, et la foule s’écoulait. A peine le roi nous eut-il aperçus qu’il fit fermer les portes de la cour, força tout le monde à reprendre sa place et les artistes à recommencer leurs exercices. Personne n’avait dîné, si ce n’est nous et sa majesté ; mais cela suffisait. Quelques acrobates exécutèrent devant nous des tours élémentaires ; deux d’entre eux méritent cependant une mention spéciale. Le premier se fit placer successivement sur la tête, sur le dos et sur le ventre une de ces lourdes auges qui servent à piler le riz, et trois vigoureux gaillards, armés de pilons, se mirent à manœuvrer de façon à prouver qu’ils n’étaient pas compères. On nous apporta le riz, réduit en farine comme s’il sortait du moulin. Le second passa et repassa sur un large tapis de braise incandescente aussi tranquillement que s’il avait marché sur de l’herbe.

La province d’Ubône, créée par des fugitifs de Vien-Chan, cette capitale détruite dont nous allions rencontrer plus loin les ruines, paraît avoir une population d’environ 100,000 âmes. La richesse principale de cette contrée consiste en des gisemens de sel, exploités autour de la ville principale sur une étendue d’environ 15 lieues. Les eaux pluviales, qui se saturent dans les couches inférieures du terrain ; montent à la surface sous l’influence de la chaleur solaire