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fêtes du couronnement, auxquelles noms allions bientôt assister. Le gouverneur en effet avait obtenu le titre de roi. Il appartient à la famille des princes de Vien-Chan ; emmené à Bangkok lors de la conquête de ce royaume par les armées du roi de Siam, il s’est efforcé de gagner la faveur de ce dernier, qui l’a placé à la tête de la province d’Ubône. Il nous a conté naïvement que ce sont les présens magnifiques offerts par lui à son suzerain qui ont assuré sa fortune. Sa physionomie n’est pas attrayante ; d’une taille moyenne, il est sec et anguleux ; ses yeux brillans jettent par instant comme de fauves lueurs sur la peau parcheminée de sa face féline. Il est d’ailleurs fort bien disposé pour nous. Dans une des excursions que nous eûmes l’occasion de faire aux environs de la ville, le roi ordonna à un certain nombre d’hommes de suivre nos chevaux. Pour être bien assuré que rien ne retarderait leur marche, il leur interdit de porter avec eux leur petit sac de riz. Le chef qui les accompagnait avait mission, dans le cas où ces malheureux se permettraient d’avoir faim et de le dire, de leur donner des coups de bâton.

La cérémonie du couronnement présenta un caractère à la fois civil et religieux. Le roi traversa pour se rendre au nouveau palais qu’il s’était fait construire toute la plaine au milieu de laquelle nous campions. La musique ouvrait le cortège. Quelques cavaliers venaient ensuite, et derrière eux marchaient, entre deux files de Laotiens armés de lances ou portant des bannières, une troupe imposante de vingt-deux éléphans. Sur le dos du premier était assis le roi, vêtu d’une tunique en velours vert, coiffé d’une couronne assez semblable à un casque de soldat prussien, et abrité par un grand parasol en fils d’argent. Le peuple suivait en foule, et avait l’ordre de s’amuser. J’ai vu des habitans du village rassemblés de force et poussés à coups de rotin vers le royal cortège. La grande salle du palais était remplie de bonzes, et leur chef commença les longues prières d’usage. Des lustres en bois doré, imitation assez réussie d’un modèle vu à Bangkok, pendaient au plafond ; des cierges brûlaient, envoyant au ciel leur fumée confondue avec celle des cigarettes et les parfums des bois de senteur. Les prières seules ne semblaient pas ardentes ; chacun causait, fumait ou mâchait son bétel, hormis le vieux bonze qui, ses lunettes sur le nez, déchiffrait péniblement son pâli. À de rares intervalles, l’auditoire s’associait à lui par une inclination générale ou un murmure qui rappelait assez bien les répons de nos prières. Le prince héritier jouait aussi son rôle dans la cérémonie. Richement vêtu d’un langouti en drap d’or et d’une tunique de tulle constellée de paillettes d’argent, il avait, malgré son jeune âge, l’air hautain, solennel et ennuyé d’un