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bien résolu à faire une tentative nouvelle pour se procurer des papiers qu’il jugeait, comme nous, indispensables. — Quand il eut appris notre prochain départ, le roi redoubla pour nous d’attentions délicates. Nous lui avions offert des portraits de l’empereur et de l’impératrice, et il donna sur-le-champ l’ordre de les suspendre aux murs de la grande pagode. Dans la visite d’adieux que nous allâmes lui faire, il nous dit ces raille choses aimables qui n’eussent été en France que des banalités polies, mais qui avaient du prix dans sa bouche. Si peu enthousiaste que l’on puisse être en effet des sauvages et des demi-sauvages, on leur sait gré de ne dire que ce qu’ils pensent. C’était un véritable plaisir de parler de la France à ce jeune Laotien. Il semblait frappé d’admiration au récit des miracles enfantés par le génie européen ; il écoutait avec une confiance naïve, jetant au milieu des descriptions des questions embarrassantes, car il eût été difficile de lui fournir des explications à sa portée. Il se faisait l’interprète des regrets de sa capitale. Les médecins étaient suivis par les vœux et la reconnaissance des malades qu’ils avaient soignés. Des familles entières allaient porter des offrandes aux pagodes, prier le ciel de faciliter leur voyage et de leur accorder mille ans d’existence. Ils avaient en effet distribué quelques pilules et frappé les imaginations en faisant des opérations heureuses. Les bonzes seuls dissimulaient leur dépit ; ceux-ci avaient condamné les malades, et de ces guérisons résultait pour eux un double dommage, atteinte à leur prestige et perte sèche pour la pagode. Les funérailles ne se font pas sans largesses de la part de la famille, et le mort n’est jamais mieux honoré que lorsque les vivans festoient autour de son bûcher.

Le roi vint lui-même nous conduire à la plage où nous attendaient les barques qu’il avait fait préparer, et nous partîmes dans les derniers jours de décembre. La navigation était devenue facile ; les berges du fleuve ne présentaient plus d’obstacles comme au commencement de notre voyage. Les arbres et les broussailles au milieu desquels nous aurions dû passer six mois plus tôt étaient maintenant à 10 mètres au-dessus de notre tête. Un de mes rameurs, pour échapper à la corvée de me conduire, s’est jeté à l’eau, a gagné la rive et a disparu dans les hautes herbes. Voilà un malheureux destiné aux plus rudes châtimens, s’il est pris ; s’il échappe, sa femme et ses enfans paieront pour lui. Notre flottille s’arrêta, et nous allâmes à pied visiter les ruines de Muongcao, l’ancienne capitale du royaume de Bassac. L’immense plaine qu’il fallait traverser avait un aspect désolé ; les indigènes y avaient mis le feu. Le soleil nous embrasait le crâne, tandis que des cendres encore chaudes nous brûlaient les pieds. Quelques arbres sans feuilles, à demi calcinés, se