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lisière fort étroite. Entre leurs villages et la grande chaîne qui borde l’empire annamite, de nombreuses tribus sont dispersées dans l’intérieur, depuis le Tonkin jusqu’à nos provinces de la Basse-Cochinchine, dont quelques-unes comprennent même dans leurs limites administratives plusieurs campemens de sauvages. Les tribus qui avoisinent les Laotiens, et qui relevaient probablement jadis des souverains du Laos, ont pris le parti de se soumettre au roi de Siam ; elles lui paient une légère redevance. Cette vassalité, purement nominale ou peu s’en faut, est compensée par certains avantages très réels. Ainsi ces pauvres gens n’ont plus rien à craindre des incursions des marchands d’esclaves, qui se livrent sur le territoire des tribus indépendantes à une véritable traite. Au Cambodge et probablement aussi à Siam, comme au Laos, il existe plusieurs catégories d’esclaves, les esclaves pour dettes, les esclaves du roi et les esclaves des pagodes. L’esclavage pour dettes n’est pas, à proprement parler, un esclavage. C’est une aliénation temporaire de la liberté. Quand on ne peut pas solder une somme dont on se reconnaît débiteur, on se livre soi-même à son créancier ou bien on lui livre un de ses enfans. Le travail fourni par l’esclave équivaut aux intérêts de la dette ; mais l’on n’est libéré que par le paiement du capital entier. Si l’on est mécontent de son maître, on emprunte à un autre pour le rembourser, et l’on passe par ce seul fait sous une domination nouvelle. — L’esclave du roi est réellement esclave, qu’il soit pris à la guerre ou qu’il soit réduit à cet état par un jugement. L’homme qui, poursuivi pour un délit ou pour un crime, cherche un refuge dans une pagode, est protégé par le droit d’asile, à la condition de devenir esclave ou plutôt bonze à perpétuité. Le véritable esclavage dans toute l’horreur du mot, l’esclavage sans autre cause qu’une indigne capture, sans autre issue que la mort ou l’évasion, n’est appliqué qu’aux sauvages. Ceux-ci, tombés dans un piège ou forcés comme des bêtes fauves par les chasseurs d’hommes, sont arrachés à leurs forêts, enchaînés et conduits sur les places principales du Laos, de Siam et du Cambodge. A Pnom-Penh, la capitale actuelle de ce dernier royaume, ils sont particulièrement recherchés et payés plus cher que les esclaves de race annamite ou cambodgienne. Ils valent là 800 francs, tandis que le Cambodgien n’est guère estimé au-delà de 500, et qu’on ne donne pas plus de 200 francs d’un Annamite. La différence dans les conditions de l’esclavage entre bien pour quelque chose dans la différence de valeur ; mais c’est surtout au degré de confiance que le maître peut placer dans la probité de l’esclave, suivant la race à laquelle il appartient, qu’il faut attribuer un aussi grand écart dans les prix. Les Annamites d’un côté, les Laotiens et les Cambodgiens