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II

La rivière d’Attopée nous avait été signalée comme un autre Pactole. On trouve en effet de l’or dans le sable de son lit et de ses rives ; mais le soin de le rechercher a été abandonné aux sauvages. J’ai vu sur un banc de sable récemment abandonné des eaux un petit village improvisé par les malheureux qui se livrent à cette industrie. Ils logent dans des huttes en bambou deux fois grandes comme des niches à chiens, dont elles ont à peu près la forme. Chacune de ces cabanes est habitée par une famille. Plusieurs générations de femmes y étaient accroupies, depuis la vieille aux longs cheveux blancs qui retombaient sur ses maigres épaules et encadraient ses joues creuses jusqu’à la petite fille qui suçait avec sécurité la mamelle rebondie de sa mère, un peu effrayée de notre visite. Quant aux hommes, ils ne l’avaient pas attendue, et, du plus loin qu’ils nous avaient aperçus, ils s’étaient hâtés de prendre la fuite. Désirant voir d’autres établissemens de sauvages, nous nous avançâmes dans l’intérieur sous la conduite d’un Laotien. M. de Lagrée fut pris d’un de ces violens accès de fièvre qui commencent par glacer le sang dans les veines et finissent par y faire couler du feu. Nous fîmes aussitôt requérir dans un village voisin les couvertures en feutre, les manteaux, les langoutis, tout ce qui pouvait servir, à ramener la chaleur dans son corps refroidi, et après deux heures d’inquiétude mortelle nous acquîmes la certitude que la vigoureuse nature de notre chef l’emporterait sur le mal. Nous le laissâmes reposer, et nous pûmes continuer notre voyage. Il fallut marcher longtemps dans les jungles, traverser des cours d’eau larges et profonds sur de minces troncs d’arbres, ponts primitifs qui n’avaient pour tout parapet qu’une liane flexible. A la vue d’un misérable caravansérail enfoui dans les broussailles, nous reconnûmes que nous étions arrivés. Il ne se forme pas en effet, dans ces pays où l’hospitalité est la première des lois parce qu’elle est le premier des besoins, un groupe de dix habitans sans que ceux-ci n’élèvent un abri pour les voyageurs. Chez les Laotiens, à défaut d’une autre case, c’est la pagode qui sert d’auberge ; mais les sauvages n’ont pas de pagodes. Ils croient aux fées et aux génies, lesquels n’habitent pas dans les temples. Autour du village où nous nous trouvions régnait une palissade destinée à écarter les esprits malfaisans ; elle ne résisterait pas au coup de pied d’un homme en chair et en os. Un morceau de bambou couvert d’inscriptions et de conjurations pendait au-dessus de notre porte. Les cases étaient disposées en demi-cercle. Nous en avons compté soixante-dix ou quatre-vingts, toutes bâties