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ties ; sans rien perdre de son autorité légale, elle n’est plus le grand ressort du gouvernement britannique, et elle sent si bien elle-même sa faiblesse que récemment elle n’a opposé aucune résistance à une proposition de lord John Russell ayant pour objet d’autoriser la reine à créer un certain nombre de pairies viagères en faveur de personnages notables par leur talent ou de fonctionnaires ayant rendu des services au pays. Est-ce que la chambre des lords tendrait à devenir un sénat comme les sénats du continent, comme le sénat qui est sans doute dans l’idéal de M. de Persigny ? A un certain point de vue en effet, la mesure proposée par lord John Russell est aussi grave que le bill sur l’Irlande, puisqu’elle fait entrer l’élément démocratique dans l’assemblée demeurée la citadelle de l’aristocratie anglaise. C’est un indice des tendances de l’Angleterre nouvelle ; mais la démocratie anglaise aura toujours le frein vigoureux du sentiment individuel, du viril instinct de liberté qui l’accompagne dans toutes ses entreprises.

L’autre jour, à l’heure même où l’on célébrait avec pompe à Florence le centenaire de Machiavel, les Italiens ne se contentaient pas de rendre un platonique hommage au grand et singulier patriote dont le nom est resté un objet de doute parmi les hommes ; ils faisaient mieux, ils étaient occupés à montrer dans leurs affaires du moment, dans un incident tout actuel, cet esprit politique qui est une de leurs traditions, dont leurs grands précurseurs d’autrefois leur ont légué l’héritage. La lutte pour l’indépendance commune les avait réunis un instant, la victoire les avait divisés. Le changement de capitale accompli en 1864 avait mis le désarroi dans les opinions en dénaturant toutes les conditions de la politique nationale, en réveillant les animosités locales, en rompant le faisceau des forces par lesquelles s’était accomplie l’émancipation italienne. Turin boudait Florence, et les députés piémontais, séparés de la majorité libérale et conservatrice, vivaient retranchés dans leur mécontentement, ayant tout l’air d’être des irréconciliables, au moins par leur humeur, sinon par leurs opinions. Il en résultait une situation également fausse pour tout le monde, pour les partis, qui ne se combinaient pas par leurs affinités naturelles, qui se trouvaient engagés dans des alliances arbitraires et artificielles, pour les ministères, qui ne savaient jamais sur quoi compter, qui étaient arrêtés à chaque pas dans leur marche. L’opposition semblait puissante, lorsqu’elle ne l’était que par circonstance et par accident ; le gouvernement se traînait, craignant toujours de se briser contre des incompatibilités insaisissables, n’osant mettre la main à la seule œuvre désormais vitale et indispensable pour l’Italie, à la réforme de l’administration et des finances. On était en guerre, on ne savait trop pourquoi ; on voulait au fond la même chose. Le ministère actuel lui-même, quoique suivi par la majorité depuis deux ans, sentait bien ce qui lui manquait ; les hommes qui représentent les diverses nuances d’opinions le sentaient bien aussi, lorsque chez les uns et les autres