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soir tout le long des boulevards. D’un côté, il y avait évidemment une curiosité très vive, très surexcitée, on voulait voir ce qui allait arriver, on tenait à ne rien perdre de ces bruyans mouvemens. D’un autre côté, ces curieux, prêts à s’amuser de tout, n’étaient certainement pas de redoutables perturbateurs ; ils n’avaient aucune envie de voir la bagarre dépasser une certaine limite, encore moins de prendre parti pour l’émeute. Le sentiment du péril n’a pas tardé à l’emporter sur tout le reste, et à ce moment les vrais fauteurs de désordre, laissés à eux-mêmes, ont perdu du terrain. Nous ne savons pas si les agitateurs de la dernière semaine avaient un plan : ils ont en vérité si bien réussi dans leurs desseins qu’ils ont préparé une ovation à l’empereur et à l’impératrice lorsqu’ils sont allés parcourir les boulevards au lendemain de la soirée la plus orageuse. Ils ont obtenu un succès plus étonnant encore et plus inattendu, ils ont fini par réhabiliter presque la police, dont la brusque intervention n’avait pas été d’abord des plus heureuses. Bref, le premier jour on semblait prendre plaisir à ces agitations où l’on croyait voir, une explosion d’esprit public ; puis l’impatience est venue quand la sédition s’est prolongée, s’est trahie par des actes de destruction, et le dernier soir, pour en finir, on aurait prêté main-forte à l’autorité. On dit même que des industriels parisiens ont demandé à s’organiser en volontaires de l’ordre. Cela prouve que l’opinion est émue, ébranlée, disposée à toutes les impressions vives sans être essentiellement révolutionnaire. Les agitations du boulevard Montmartre ne sont d’ailleurs qu’un incident, elles ne changent pas une situation qui survit à ces troubles, dont les élections dernières, plus que toutes les manifestations tumultueuses, restent la significative et énergique expression.

Il est bien certain en effet que ces élections de 1869, qui résument tout aujourd’hui, ont un caractère nouveau par la manière dont elles se sont réalisées aussi bien que par les résultats qu’elles ont produits. Elles marquent le réveil de la vie publique en France, et sous ce rapport elles ne ressemblent vraiment à aucune des élections qui les ont précédées sous le régime actuel, à aucune de ces paisibles batailles qui se livraient devant un pays indifférent, où le vainqueur, toujours connu d’avance, avait l’air de faire la petite guerre pour son plaisir. Cette fois la bataille électorale a eu cela de particulier qu’elle n’a été rien moins que silencieuse, qu’elle a été sérieusement disputée, que toutes les forces politiques y ont pris part, et que, si le vainqueur est encore le même, les opinions les plus diverses, fût-ce les plus excessives, ont eu après tout une liberté suffisante pour soutenir le combat Cette animation qui s’est produite et que nous ne connaissions plus depuis dix-sept ans, elle n’a rien d’extraordinaire ; elle est la suite naturelle de tout un ensemble de circonstances, elle était facile à prévoir, et elle devait inévitablement prendre ce caractère d’une crise exceptionnelle par une de ces raisons qui dominent tous