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déciment ; elle s’éteint moins vite peut-être, mais non moins inévitablement que celles qui ont été expulsées de haute lutte par le procédé américain. En attendant, elle est une gêne pour les colons de race blanche. Ceux-ci d’ailleurs ne reçoivent pas de leur pays natal l’appui que tout nouvel établissement obtient aux États-Unis du gouvernement de Washington. Ils ont voulu s’en aller, s’établir au loin ; on les laisse croître et se développer à leur aise, mais sans leur accorder ni aide ni subsides. La difficulté d’une colonisation accomplie dans de telles conditions s’accroît encore quand il s’agit d’une province très éloignée, comme la Colombie britannique, où les émigrans pauvres ne peuvent guère se rendre faute de ressources.

Pour en revenir au littoral américain de l’Océan-Pacifique, on aura compris, d’après les considérations qui précèdent, que les Anglais y sont dans une situation inférieure aux Américains. Cependant la Grande-Bretagne tient beaucoup à cette colonie lointaine, où elle retrouve, avec le climat qui convient le mieux à ses enfans, un port capable de rivaliser avec la baie célèbre de San-Francisco. L’acquisition de l’Amérique russe est-elle une menace pour ses propres domaines ? Si l’on suit la côte depuis le golfe Vermeille jusqu’au détroit de Behring, on rencontre d’abord la Californie, magnifique province peuplée de 400,000 habitans en vingt ans, aussi féconde par les productions du sol que par les richesses minérales ; au-dessus, les territoires de l’Orégon et de Washington offrent les mêmes ressources à l’émigrant avec une température aussi favorable. Plus au nord, c’est la Colombie britannique, et enfin, au-delà de la frontière idéale que les traités internationaux ont tracée sur la carte, s’étend le vaste territoire d’Aliaska, ouvert d’hier seulement aux entreprises aventureuses des Américains. Sur la frontière du midi de même que sur celle du nord, les pionniers avancent avec une ardeur infatigable, peu soucieux de respecter des limites qu’ils ne connaissent même pas. L’Anglais vient de loin et ne marche qu’avec réserve ; l’Américain est tout près et s’approprie le terrain sans formalités. Il est clair que la colonisation américaine prendra les devans. Le territoire dont il s’agit pourra bien rester en fait aux mains des Anglais ; mais, par les mœurs, par l’industrie, par la population, il ne différera guère des autres états de cette confédération dont on admire après tout la merveilleuse extension, quelque crainte que provoque sa croissance, et quelque répugnance qu’inspire sa liberté d’allures.


H. BLERZY.