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le sait, de font estimables, héros de roman Les affaires allaient bien. Si la compagnie avait par hasard la tentation de créer une colonie agricole, comme le fît lord Selkirk sur les bords de la Rivière-Rouge, et que cet essai ne réussit pas, les dividendes des actionnaires n’en restaient pas moins à un taux merveilleusement élevé.

Il ne faut pas se faire illusion sur la valeur des immenses domaines de la compagnie. Les cantons de l’est sont perdus au milieu d’un inextricable réseau de lacs et de rivières, ceux de l’ouest forment un massif de montagnes ; au nord, la température est d’une rigueur extrême. Il n’y a donc de vraiment habitable qu’une bande étroite au voisinage de la frontière ; encore cette région participe-t-elle plus ou moins de la nature sèche et stérile que l’on retrouve plus au sud dans toute la zone comprise entre le Missouri et les Montagnes-Rocheuses. Les colons établis dans les belles vallées du Saint-Laurent et de l’Ottawa ou sur les bords du Minnesota et du Lac-Supérieur étaient médiocrement attirés par la perspective d’un climat sévère et de terres assez peu fertiles ; il y avait encore assez de bonnes terres vacantes vers le sud. Quant aux territoires situés sur le versant du Pacifique, ils étaient, on l’a dit plus haut, trop éloignés de l’Europe pour attirer beaucoup d’immigrans. Néanmoins, dès l’année 1843, la compagnie avait fondé deux comptoirs dans l’île de Vancouver, l’un à l’extrémité septentrionale, l’autre au midi, sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la ville de Victoria. Après avoir obtenu du parlement britannique le privilège de s’établir en cette île, elle y fit venir quelques émigrans anglais ; mais elle ne voulut pas admettre les colons de la Californie qui s’y rendaient de plein gré. Comme si elle eût craint que le pays ne lui échappât en acquérant de l’importance, elle adoptait la politique égoïste qu’ont toujours les possesseurs d’un monopole. Il y avait bien un commissaire du gouvernement chargé de veiller à l’exécution du traité de concession ; mais il était en même temps le principal agent d’affaires de la colonie. Le gouvernement anglais, qui n’eût pas demandé mieux que de se faire représenter sur les lieux par un personnage indépendant, n’avait pas eu le choix pour cette nomination. Il est admis en Angleterre que toute colonie doit se suffire à elle-même ; or celle-ci avait encore un trop mince budget pour payer le traitement d’un gros fonctionnaire. Le ministère des colonies avait nommé un gouverneur qui revint au bout d’un an sans avoir obtenu le remboursement même de ses frais de voyage. On lui avait offert en guise de salaire un lot de terrain dont il n’avait pas su ou pu réaliser la valeur. Cependant quelques années après, quoiqu’il n’y eût à Vancouver que 450 habitans, on y jouissait d’un gouvernement parlementaire