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nord du Pacifique. La compagnie russe, qui avait eu dans le principe des comptoirs à Petropavlosk et sur divers autres peints de la côte du Kamtschatka, les avait abandonnés par suite de la concurrence que le commerce libre lui faisait dans cette région. Il n’y avait plus à Petropavlosk qu’une faible garnison de cosaques. Cette petite ville méritait d’ailleurs qu’on l’épargnât ; d’abord elle ne valait pas la peine d’être attaquée, tant elle avait peu d’importance, et la conquête n’en pouvait être glorieuse ; en second lieu, elle avait toujours fait le plus généreux accueil aux marins de toutes nations que la pêche de la baleine ou l’amour des découvertes attirait sur ces côtes inhospitalières. On n’y voyait, que deux monumens dignes d’être remarqués, l’un en l’honneur de Behring, l’autre en mémoire de La Pérouse. Néanmoins la flotte alliée, forte de six vaisseaux de guerre, apparut le 28 août 1854 dans la baie d’Avatcha. Les habitans n’avaient fait aucun préparatif de combat. Il y avait seulement deux navires dans le port, une chaîne en travers de l’entrée et quelques batteries en terre armées de canons de faible calibre ; la position se trouvait par nature assez facile à défendre, étant entourée de collines qui la masquaient du côté de la mer. Les alliés, ayant ouvert le feu, réduisirent bientôt au silence les batteries de la côte ; un corps de débarquement de 700 hommes fut alors mis à terre, guidé par deux Américains qui prétendaient connaître le pays. Il paraît que les officiers qui commandaient ce détachement ne comptaient pas rencontrer de résistance, si bien qu’ils marchaient sans beaucoup d’ordre. Le terrain était parsemé de buissons en arrière desquels des cosaques se tenaient en tirailleurs. Ceux-ci accueillirent les assaillans par une très vive fusillade, et, soit adresse, soit hasard, mirent hors de combat presque tous les officiers. Les soldats, frappés de panique, se débandèrent aussitôt, et s’enfuirent en tirant les uns sur les autres. Poursuivis de près, acculés au sommet de falaises à pic, ils se jetèrent à la mer et périrent en grande partie. Surpris d’une victoire si prompte, les habitans se disposaient à évacuer la ville, de crainte que l’ennemi ne revînt à la charge avec des forces supérieures, lorsqu’ils virent avec étonnement les vaisseaux lever l’ancre et mettre à la voile. L’amiral anglais qui commandait la flotte mourut subitement à cette époque ; on attribua sa mort à un suicide, car il était bien connu qu’il n’avait pas été atteint par le feu de la place.

En hivers la baie d’Avatcha est bloquée par les glaces. Les alliés ne reparurent dans ces parages qu’au mois de mai suivant ; la flotte russe avait reçu l’ordre d’abandonner Petropavlosk ; les habitans s’étaient tous enfuis à l’exception des résidens étrangers. Lorsque