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lire et à écrire. Comme chez nous autrefois, la culture et l’enseignement des lettres sont au Laos le monopole du clergé ; la littérature proprement dite n’existe guère d’ailleurs, et l’on a fait ses humanités quand on a lu et entendu expliquer un certain nombre de livres bouddhistes.

les bonzes qui passent leur vie entière sous l’habit jaune, soumis aux pratiques austères imposées par la règle, ne sont pas fort nombreux. La plupart des jeunes gens qui remplissent les pagodes y font des retraites qui, suivant leurs convenances, sont plus ou moins prolongées, mais dont la durée n’est pas inférieure à trois mois. Tout homme qui se respecte se soumet à cet usage. Le roi du Cambodge s’est vêtu du froc et s’est rasé la tête, celui de Siam lui-même est entré en religion avant de monter sur le trône. J’ai vu le fils d’un mandarin renoncer pour un temps au monde, et j’ai pu admirer la facilité avec laquelle on est admis dans le couvent. Le postulant, vêtu de blanc, suivi de ses parens et de ses amis, se présenta devant des bonzes réunis en conseil, déposa ces offrandes qui, obligatoires dans mille circonstances de la vie, viennent à l’appui d’une prière ou d’un placet, servent de cartes de visite, et constituent en somme un rude impôt pour les gens pauvres. La première chose à faire quand on veut obtenir d’un homme en place, qu’il soit chef de village, grand-mandarin, gouverneur de province ou roi, un acte de faveur, même de justice, c’est de lui envoyer un panier de volailles, un quartier de buffle ou de cochon.

Les bonzes, qui vivent grassement d’aumônes, n’ont garde de laisser se perdre un tel usage, et mon novice, s’y étant conformé, fût admis. Dans l’examen qu’il eut à subir, on parut s’inquiéter bien plus de la santé de son corps que de l’état de son âme. Il affirma qu’il n’avait jamais été ni fou ni lépreux, qu’il était autorisé de ses parens et muni de tout ce qui doit composer la garde-robe et le mobilier du moine bouddhiste, un froc jaune, une natte et une marmite en cuivre. Cela fait, le vieil homme s’évanouit, et les assistans s’inclinèrent devant le nouveau phra, le saint presque divinisé. On ne lui adressa plus da parole que dans une langue particulière dont les termes étaient haussés au ton de la plus extravagante hyperbole. Le froc jaune, si respecté de tous, inspire à ceux qui le portent, même aux enfans, même à ceux qui s’en sont revêtus hier pour le quitter demain, une sorte d’insolence bizarre. Les religieux bouddhistes prêtent leur ministère à qui les appelle et à qui les paie ; mais ils n’ont pas charge d’âmes. Sans responsabilité envers le ciel, ils sont sans amour pour le prochain. Ils abusent de leurs nombreux privilèges, traitent presque d’égal à égal avec les grands de la terre, et méprisent les petits. La plupart des jeunes bonzes mettent d’ailleurs