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sur les bords de la baie d’Hudson. La seule réserve imposée aux concessionnaires était de ne pas s’établir sur des terres occupées déjà par un prince chrétien. Encore est-il probable que, dans ces temps de trouble où les princes chrétiens se faisaient fréquemment la guerre, le roi d’Angleterre n’aurait pas vu d’un mauvais œil le prince Rupert et ses compagnons d’aventure traiter comme pays barbare les possessions d’une nation ennemie. Les colons envoyés en Amérique par la compagnie de la baie d’Hudson trouvèrent un climat très froid, un sol stérile et couvert de grands bois où la chasse aux fourrures semblait être la seule industrie possible. A la chasse, on va vite et loin. Quoique le continent américain soit bien large sous cette latitude, les Anglais, d’étape en étape, finirent par rencontrer les Russes. Au surplus ceux-ci avaient aussi senti le besoin de s’étendre vers le sud. S’étant aperçu que leurs possessions boréales ne produisaient rien, pas même des légumes et des céréales pour nourrir les habitans, ils avaient essayé de s’établir aux Sandwich, puis sur les côtes de l’Orégon et de la Californie. Ces tentatives eurent peu de succès ; cependant elles furent l’origine de quelques conflits. Pour y mettre fin, le gouvernement de Saint-Pétersbourg conclut en 1824 et 1825 deux traités de limites avec le cabinet de Saint-James et avec celui de Washington. Par le premier de ces traités, il s’engageait à ne pas s’avancer à plus de dix lieues dans l’intérieur des terres, et par le second à ne pas dépasser au sud la latitude de 54 degrés 40 minutes. Ces conventions consacrèrent officiellement l’existence de l’Amérique russe. Les possessions anglaises ayant été prolongées par un accord ultérieur entre l’Angleterre et les États-Unis jusqu’aux rivages du Pacifique, la Russie fut tout à fait séparée des États-Unis par une nouvelle colonie que l’on appelle maintenant la Colombie britannique, et elle n’eut plus en Amérique d’autres voisins que la couronne d’Angleterre et la compagnie de la baie d’Hudson. Quant aux denrées qui leur faisaient défaut, les Moscovites, plutôt que de cultiver eux-mêmes, trouvèrent plus simple de les aller acheter à Guaymas dans le golfe de Californie, ou même à Valparaiso.

Tel était l’état des choses lorsque survint la guerre de Crimée. Les conséquences de la lutte qui avait éclaté en Europe entre la Russie et l’Angleterre devaient se faire sentir jusque dans leurs possessions les plus reculées. Toutefois les parties belligérantes étaient convenues de laisser en dehors de ce grand conflit les territoires de la compagnie russo-américaine et de la compagnie de la baie d’Hudson. Les deux puissances ne se réservaient que le droit de bloquer, s’il était utile, les ports de ces territoires. À cette époque, une escadre de navires français et anglais opérait dans le