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russe aux États-Unis a ramené l’attention sur ces pays lointains. On s’est demandé s’ils ne vaudraient pas mieux que leur réputation. De hardis voyageurs les ont explorés de nouveau avec l’espoir d’y découvrir des richesses ignorées. Nous essaierons de dire, d’après les récits les plus modernes, quelle a été l’histoire de ces contrées sans attraits, quelles ressources on y peut trouver, et quel en est l’avenir entre les mains des hommes entreprenans auxquels elles appartiennent aujourd’hui.


I

Lorsque les Moscovites, qui venaient de conquérir la Sibérie et de découvrir le Kamtschatka, parvinrent, vers le milieu du XVIIe siècle, sur les bords de l’Océan-Pacifique, on ignorait encore, si l’Asie et l’Amérique étaient réunies au nord ou séparées par un bras de mer. Un navigateur de ce temps, Djenef, pénétra, dit-on, dans le Pacifique, par le détroit de Behring en 1648, après avoir contourné les côtes de la Mer-Glaciale. Si le fait est vrai, ce vaillant marin a été dépouillé de l’honneur d’une si belle découverte, car il n’a laissé aucune trace de son passage sur les terres qu’il aurait vues le premier. Il est à croire que ce voyage eut peu de retentissement, ou qu’il fut vite oublié. Un demi-siècle plus tard, Pierre le Grand manifesta le plus vif intérêt pour les provinces orientales de son empire. Il éprouvait le désir assez naturel de savoir si ses possessions étaient bornées à l’ouest par un océan ou par un désert. Au nombre des hommes de talent que le créateur de la puissance moscovite sut attirer en Russie, se trouvait Vitus Behring, marin danois. A la mort de Pierre le Grand, l’impératrice Catherine hérita des préoccupations que le nord-est de l’Asie avait inspirées à son illustre époux. En 1725, elle envoya Behring à l’extrémité de la Sibérie, avec ordre de poursuivre des voyages d’exploration dans l’Océan-Pacifique. On se rendra compte des difficultés que présentait à cette époque une pareille entreprise par ce seul fait, qu’il fallut trois années entières pour aller de Saint-Pétersbourg à la mer d’Ochotsk, et y réunir le matériel d’une expédition navale. Il était nécessaire en effet de construire des navires sur les lieux. Behring partit de la côte du Kamtschatka au mois d’avril 1728 avec son lieutenant Tschirikof. Une longue croisière lui permit de s’élever au-delà du 67e parallèle, et de constater qu’il existait entre l’Asie et l’Amérique un détroit auquel il a eu l’honneur de laisser son nom ; mais, empêché par les vents contraires de naviguer vers l’est, il n’eut pas une seule fois, durant le cours de ce voyage, l’occasion d’apercevoir les rivages de l’Amérique.