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agite chapeaux et bannières, et la toile tombe aux cris répétés de : vive Hans Sachs !


IV

Un récit détaillé du drame nous a paru indispensable pour donner au lecteur une impression de cette œuvre originale. Il n’y a pas trace ici des fadeurs et des platitudes du libretto de commande. La vie circule largement, librement, à travers tout le drame ; une noble pensée le domine, et ce qui frappe par-dessus tout, c’est sa parfaite unité.

Walther et Sachs en sont les héros, et de leur union ressort une pensée qui n’est pas sans grandeur. Le dénoûment du drame est en même temps la victoire d’une idée. C’est par l’alliance du poète de race noble avec le poète populaire que s’achève le triomphe de la poésie elle-même. Ils viennent de régions opposées pour se rencontrer au même point. Le chevalier Walther a grandi dans l’isolement de son château féodal. Son âme s’est éveillée aux frissonnemens de l’antique forêt, dans l’éternelle jeunesse de la nature. Durant les longues veillées, il a lu « les vieux livres légués par l’aïeul, » et les grands inspirés des âges héroïques lui sont apparus. Alors surgirent en lui des rêves larges comme les grands bois, des pensées hautes comme le ciel ; mais pour qui coulera-t-elle, cette source qu’il sent déborder de son cœur ? Il voudrait la prodiguer à des êtres aussi nobles que lui. Où vivent-ils ? Il faut qu’il les trouve, et voilà ce qui le pousse dans le vaste monde ; il voudrait s’y élancer comme un aigle du haut de son aire, le cœur gonflé et les ailes ouvertes. Sachs au contraire n’est qu’un pauvre artisan : sorti du peuple, pétri de sa chair, nourri de ses labeurs, il a vécu de sa vie. Ah ! comme jour et nuit il a manié le marteau et le poinçon dans son petit atelier au cœur de la cité travailleuse ! Pendant ce temps, son esprit infatigable ne chômait pas. Le peuple, qu’il aime tant, lui a soufflé sa verve et sa bonne humeur, il chante avec lui, pour lui, soir et matin. Il scande sa chanson à coups de marteau, qu’importe, si elle est gaie ? L’humanité lui apparaît de loin comme une lanterne magique où paysans, seigneurs, rois et peuples dansent une folle sarabande. Il regarde ce monde étrange d’un œil calme. Il est fort et ferme sur le sol où il marche, il sent qu’il est la voix de son peuple. Ainsi nous voyons le vieux travailleur au déclin, de sa vie, toujours jeune d’âme et franc de cœur, saluer d’un mâle cantique l’aurore du grand jour de la réforme. Ce Hans Sachs est à la fois une résurrection et une création. L’artisan-poète du XVIe siècle, dont l’Allemagne révère le souvenir, apparaît ici avec sa vraie physionomie transfigurée d’un rayon d’idéal. C’est bien là le type