Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gistes témoigne bien plus encore que les plantes et les animaux ont eu le même parent primitif. Aussi, sous peine d’être inconséquent, le darwinisme est forcé de faire remonter l’origine de tout organisme jusqu’à la cellule primordiale, jusqu’à ce prototype en faveur duquel il est impossible d’invoquer le moindre argument scientifique.

Acceptons-le pourtant tel que Darwin nous le donne, comme un être primordial ne se rattachant à rien, dont l’existence est inexpliquée et inexplicable, en désaccord avec le peu que nous savons, en d’autres termes, comme un mystère, et suivons-le dans ses transformations. Ici un premier fait se présente, et doit nous arrêter d’autant plus que Darwin lui-même a bien compris qu’il constituait une objection sérieuse à sa théorie, surtout quand on veut voir en elle la doctrine du progrès. Rien ne prouve que le prototype soit représenté de nos jours encore par des descendans directs. Peut-être se cache-t-il dans la foule de ces êtres ambigus dont Bory de Saint-Vincent composait son règne psychodiaire[1] ; mais nous le rencontrerions sous le microscope que nous ne pourrions le reconnaître, faute de renseignemens. En revanche, nous pouvons affirmer que la science moderne a découvert un certain nombre de ses dérivés les plus immédiats. Les dernières conferves, les infusoires les plus simples et surtout bon nombre de ces êtres dont nous ne savons encore que faire ne diffèrent probablement pas beaucoup de cet ancêtre putatif commun. Ce n’est pas leur petitesse qui autorise ce langage. L’esprit, appuyé sur quelques notions élémentaires de mathématiques, conçoit des êtres infiniment plus petits que la dernière des monades, que le plus imperceptible des vibrions. Il n’en est pas de même de la simplicité d’organisation. Celle-ci a des limites. Quand nous voyons l’être vivant réduit à une simple cellule, à un corpuscule d’apparence homogène dont il est impossible de dire s’il est ou non isolé du monde ambiant par une enveloppe propre, nous pouvons affirmer que nous sommes peu éloignés des confins de la complication organique. Comment des êtres d’une simplicité pareille peuvent-ils coexister avec leurs descendans graduellement perfectionnés, avec ceux qui occupent le premier rang dans les deux règnes ?

Dans la doctrine de Lamarck, la réponse à cette question est à la fois facile et logique. L’existence simultanée des extrêmes de complication organique et de tous les intermédiaires est la conséquence

  1. Bory de Saint-Vincent avait proposé l’adoption d’un règne spécial destiné à recevoir les êtres qu’il regardait comme tenant à la fois de la plante et de l’animal. Cette division nouvelle du monde organique n’a été adoptée par aucun naturaliste, que je sache ; mais les causes qui en avaient suggéré la pensée à Bory subsistent toujours.