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légers des violes, sons expirans de la flûte, longs appels sans réponse des cors, ces harmonies étranges où surnagent les motifs enchanteurs de Walther nous initient par degrés à tout ce travail intérieur, à cette germination mystérieuse des pensées, à ce nouveau printemps qui bourdonne dans la tête du vieux maître.

Une visite inattendue et charmante le tire de sa rêverie. Eva s’est glissée hors de la maison paternelle, elle traverse la rue sur la pointe des pieds et s’approche furtive et légère comme un chevreuil de l’atelier du cordonnier. Elle est en proie à une vive inquiétude. Walther est-il sorti triomphant de l’épreuve, pourra-t-il concourir demain ? Voilà ce qui l’amène. Sachs, agréablement surpris par l’aimable visiteuse, se lève, Eva s’assied au dehors sur le banc de pierre qui tient à la maison ; le maître, resté en dedans, s’appuie sur le rebord de la fenêtre, et se penche vers la belle jeune fille Les lilas en fleur encadrent ce tableau, et la lune le caresse d’un rayon. C’est toute une idylle que cette scène.


« EVA. — Bonsoir, maître ! Toujours au travail ?
« SACHS. — Comment, c’est toi, mon enfant ! Eve, ma mignonne ? Mais je devine pourquoi tu viens. Les nouveaux souliers, n’est-ce pas ?
« EVA. — Mal deviné ! je ne les ai pas encore essayés. Ils sont si beaux, si magnifiquement ornés, que j’hésite à les mettre.
« SACHS. — Et demain pourtant tu les porteras comme fiancée.
« EVA. — Et qui sera le fiancé ?
« SACHS. — Le sais-je, moi ?
« EVA. — Et qui vous a dit que je suis fiancée ?
« SACHS. — Eh quoi ! toute la ville le sait.
« EVA. — Si toute la ville le sait, l’ami Sachs n’est pas sorcier pour me l’apprendre. Je croyais qu’il en savait plus long.
« SACHS. — Que puis-je savoir ?
« EVA. — Eh ! voyez donc ! Faut-il vous le dire ? Je suis bien sotte, n’est-ce pas ?
« SACHS. — Je ne dis pas cela.
« EVA. — Alors vous êtes bien rusé ?
« SACHS. — Je n’en sais rien.
« EVA. — Vous ne savez rien ? Vous ne dites rien ? Ah ! l’ami Sachs, je commence à m’en apercevoir, la poix est moins flexible que la cire. Je vous aurais cru plus fin.
« SACHS. — Enfant ! Cire et poix sont choses également précieuses dans mon métier. J’ai pris la cire la plus exquise pour faire reluire les fils de soie qui enlacent tes souliers coquets ; mais aujourd’hui je fais de gros souliers. Il me faut de la poix pour un rude manant.
« EVA. — Qui donc ? Un grand personnage peut-être ?
« SACHS. — Je crois bien ! Un maître chanteur, un fier prétendant, qui