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d’essai de Walther est déclaré absurde, fou, incompréhensible. Un seul regarde le vaillant improvisateur avec une admiration mêlée de stupeur. C’est le vieux Hans Sachs, le poète aimé de Nuremberg, un vrai poète à sa manière, fort élevé au-dessus des préjugés de l’école. Il prend hautement la défense du chevalier, le conjurant d’achever quand même, au mépris des pédans qui refusent de l’écouter. Walther, fièrement dressé sur sa chaire, achève son hymne au milieu des protestations et du bruit. Ce finale du premier acte est d’un effet très-puissant. Le chant audacieux de Walther domine le tumulte des maîtres de toute la hauteur dont l’enthousiasme domine l’impuissance. Il célèbre l’oiseau au plumage resplendissant qui prend son vol au milieu d’un essaim de hiboux et de chouettes, s’élance bien au-dessus, et déploie ses ailes dans l’azur tranquille, puis va rejoindre à travers les libres espaces sa montagne natale. Cet aigle, c’est lui, c’est son chant, c’est sa fière mélodie qui déploie dans cette troisième strophe toute sa puissance d’envergure. « Adieu, les maîtres, pour toujours ! » dit Walther avec dédain en descendant de son siège, et il sort précipitamment. Le vacarme des maîtres scandalisés est au comble. Au milieu de cette agitation, Sachs, immobile et fasciné, a suivi le chant du chevalier avec un intérêt croissant. « Quel courage ! s’écrie-t-il, quelle flamme ! Silence, maîtres, écoutez donc ! C’est un cœur de héros, un fier poète celui-là ! » Peine perdue, le verdict est prononcé, tous se pressent pêle-mêle vers la porte, et, grâce à la confusion générale, les apprentis renouent leur ronde folâtre autour de la tribune et répètent en gambadant :

La couronne de fleurs, la couronne jolie,
Le beau chevalier l’attrapera-t-il ?

Le second acte nous transporte au beau milieu de la pittoresque ville de Nuremberg. Une rue étroite se présente en perspective ; deux maisons bordent le devant de la scène. A gauche, c’est la modeste maisonnette du cordonnier Hans Sachs ; un lilas enlace et protège la paisible demeure de ses feuilles touffues, et les grappes de fleurs odorantes encadrent familièrement les petites fenêtres à carreaux du vieux poète. A droite, c’est la maison plus imposante de maître Pogner, ombragée d’un beau tilleul, ornée d’un escalier de pierre et d’une porte à niches. Deux enfilades de toits pointus vont se perdre au fond avec leurs pignons aériens à flèches gracieuses qui se pressent comme une forêt de mâts, et par-dessus la ville bourdonnante les dernières lueurs d’un soir d’été se jouent dans le ciel pur.

Le couvre-feu a sonné, les apprentis quittent leur travail en