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œuvre enfin, M. Richard Wagner vient d’aborder un genre nouveau. Quittant pour cette fois-ci le terrain du mythe, il s’est placé en plein XVIe siècle, au sein de la corporation des maîtres chanteurs de Nuremberg. Dans ce cadre national et pittoresque, il a traité un sujet fort original, d’un haut intérêt pour tous ceux qui ont le culte de l’art libre et vrai. L’idée qu’il a tenté de mettre en action, c’est la victoire du génie poétique spontané sur le pédantisme de l’école.

Telle a été en somme la carrière de cet homme tant attaqué, tant décrié ; tel est l’ensemble de ses œuvres vu à vol d’oiseau. Que nous a montré ce coup d’œil rapide ? Un artiste d’un génie audacieux s’affranchissant de bonne heure de toute imitation, se développant d’une manière absolument individuelle, ne suivant que la loi de ses instincts énergiques, ne créant que par la force intérieure d’un désir toujours inassouvi. Idéaliste exalté, téméraire, parfois excessif, mais puissant jusque dans ses écarts, nous l’avons vu grandir et s’élever, non pas soutenu et porté par la société environnante, mais sans cesse en guerre avec elle, non pas favorisé par les principes d’art de l’époque, mais entravé par eux, non pas avec son temps, mais malgré lui : exemple frappant qui prouve que l’artiste n’est pas toujours le produit de son milieu. Il n’a pris à son temps que la fièvre révolutionnaire pour la porter dans l’art, et aux grands musiciens de sa nation que leurs idées les plus avancées en fait de composition musicale. Poète et musicien tout à la fois, il est complètement original à partir du Vaisseau fantôme. Dès lors il est dominé par une pensée : donner à ses opéras l’unité, la plénitude, l’allure dramatique de la grande tragédie, créer des œuvres capables d’entraîner la foule aux sentimens les plus nobles, aux idées les plus hautes. Pénétré de ce désir, il rompt avec l’opéra traditionnel, entre dans la voie du drame musical et s’efforce d’y faire marcher de front la poésie et la musique. Désormais rien ne l’arrête, il s’établit souverainement dans son domaine, et d’œuvre en œuvre en recule les limites. Il nous reste à juger cette forme nouvelle de l’opéra par un exemple ; nous choisirons le plus récent, les Maîtres chanteurs.


III

Les maîtres chanteurs n’ont joué qu’un rôle de troisième ordre dans la poésie du moyen âge ; mais leurs associations au XVe et au XVIe siècle sont très significatives pour l’histoire de la culture allemande. Après ces brillans chevaliers-poètes du XIIIe siècle qui s’appellent les Minnesinger, et à côté de la naïve chanson populaire qui éclate si puissamment au XVIe siècle, les poètes bourgeois des