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contentait de renforcer et d’embellir l’expression des sentimens, si les décors étaient toujours en harmonie avec les passions qui agitent les personnages, si la pantomime, au lieu de nous offrir des ballets intempestifs, n’intervenait que pour donner aux gestes des acteurs, à leurs attitudes, à leur groupement naturel, la beauté plastique, et formait sous nos yeux une série de tableaux vivans toujours nobles, toujours nouveaux, en un mot si les arts agissaient tous ensemble sous une inspiration souveraine pour concourir au même but : la représentation éloquente et la transfiguration poétique de l’homme et de ses destinées ? N’aurions-nous pas alors une œuvre cent fois plus puissante et plus vraie, et ne laisserait-elle pas dans l’âme une impression plus profonde et plus harmonieuse ? Voilà, disait l’auteur en concluant, la forme vivante et achevée vers laquelle l’opéra s’achemine depuis deux siècles, voilà l’idéal que nous y cherchons sans le savoir, et qu’il faut poursuivre désormais avec pleine conscience. Loin de prétendre avoir atteint lui-même cet idéal dans ses œuvres, il avouait en être resté fort loin : il déclarait seulement l’avoir cherché, et, le croyant possible, nécessaire même, il le proposait à ses contemporains comme un but digne des plus hardis efforts ; mais les critiques ne le prirent pas ainsi. Laissant de côté toutes les idées émises par l’auteur, ils s’emparèrent du titre de son livre, et s’en firent une arme contre lui. A les entendre, M. Richard Wagner, ne pouvant se faire goûter du présent, se donnait pour le musicien de l’avenir. On trouva le mot plaisant ; il fit le tour de l’Europe. Telle est l’origine de cette fameuse musique de l’avenir, dont on réussit à faire un épouvantail. Comme le nom de romantisme en 1830, ce mot devint une injure et tint lieu d’argument.

Ce qui donnait beaucoup d’assurance à ces critiques expéditifs, c’est que la grande masse du public semblait confirmer ces arrêts. Les opéras de Richard Wagner ne se répandaient que très lentement en Allemagne, Lohengrin n’avait même pas été représenté. Tous les directeurs, tous les chefs d’orchestre, s’en défiaient. Aussi l’auteur exilé avait-il renoncé à tout espoir de succès. Moins disposé que jamais à faire des concessions à la mode, il ne travaillait que pour obéir à ce besoin de produire plus fort que toutes les déceptions chez l’artiste véritable. Dans cet isolement, il eut la bonne fortune de rencontrer un ardent défenseur qui fit plus pour sa cause en Allemagne qu’il n’aurait pu faire lui-même. M. François Liszt, alors chef d’orchestre à Weimar, avait vu par hasard la partition de Lohengrin et s’en était passionnément épris. Cet enthousiasme généreux, spontané, électrique, que la musique de M. Richard Wagner a souvent excité chez les natures élevées, n’est pas un des