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que l’océan sans asile et sans limites. M. Richard Wagner a coloré ce mythe de ses émotions personnelles, lui a donné un contour plus dramatique, un sens plus élevé. Dans sa pensée, le Hollandais devient un nouvel Ahasvérus cinglant à travers les mers vers une patrie qu’il cherche en vain, lutteur infatigable qui, du milieu des orages de sa destinée, aspire aux douceurs du foyer, au calme du bonheur. La fatalité de son âme inquiète pèse sur lui comme une malédiction. Aucun peuple ne veut de lui, tous les rivages le repoussent, le corsaire même le fuit en se signant. Il a défié l’océan, et l’océan ne le lâche plus ; il a évoqué l’esprit des abîmes, et Satan le condamne à ne pouvoir mourir. Une nuit, un ange de Dieu lui est apparu dans la tempête et lui a promis la délivrance, si une femme l’aime jusqu’à la mort. Tous les sept ans, il aborde à une rive et demande la main d’une jeune fille. Hélas ! aucune de ces fiancées n’a jamais consenti à le suivre sur son noir vaisseau, toutes l’ont trahi au dernier moment. Aussi c’en est fait de sa foi en la miséricorde humaine et en l’amour. Il n’a plus qu’un désir, s’abîmer dans l’éternel néant, qu’une espérance, la destruction du monde. « Le terme est échu ; encore sept ans passés comme une tempête lasse de moi, la mer me rejette à terre… Ah ! fier océan ! bientôt tu me porteras de nouveau. Je sais dompter ta colère, mais éternelle est ma souffrance ! Le salut que je cherche sur terre, jamais je ne le trouverai ! O flots de la mer qui ceint le monde, je vous resterai fidèle jusqu’à ce que votre dernière vague se brise et que votre dernière goutte soit séchée. » Il est un cœur pourtant qui doit battre de toute sa force pour ce triste voyageur, il y a une femme qui se dévouera à lui ; c’est Senta, la fille du capitaine Daland. Par une secrète affinité d’âme, la jeune Norvégienne aime le terrible marin sans l’avoir vu. Tout le monde le craint et le hait parce qu’il est malheureux et qu’il porte malheur, et justement parce qu’il est malheureux, elle l’aime de toutes les puissances de son être. C’est une scène hardie et saisissante que celle où Senta, comme en proie à une hallucination prophétique, chante la ballade du Hollandais au milieu de ses compagnes effrayées. Elle la chante avec une sympathie sauvage et se dévoue à lui dans un élan de pitié sublime. À ce moment, il arrive, amené par le père même de Senta. Elle le reconnaît et lui jure une éternelle fidélité. Le mariage s’apprête ; voici qu’au dernier moment il surprend sa fiancée auprès du chasseur Éric, qui essaie de la retenir. Le Hollandais la croit infidèle comme toutes les autres, le doute et le désespoir rentrent dans son âme, il s’élance sur son navire et dit adieu pour toujours à la terre ; mais, Senta le voyant fuir, se jette à la mer pour le suivre. Le vaisseau fatal sombre, Senta meurt avec le Hollandais, et l’amour qui les unit dans la mort est assez grand, assez héroïque, pour que le