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position précaire et aux exigences multiples de la société parisienne. Il importait avant tout de faire des connaissances dans le monde musical. Il se présenta partout sans recommandation, racontant sa vie et disant ses projets. Beaucoup de personnes s’étonnèrent sans doute de la simplicité naïve de ce procédé. Quoi qu’il en soit, il trouva de chauds amis, mais de puissans protecteurs, point. Les directeurs de théâtre l’engagèrent amicalement à chercher d’abord un librettiste pour traduire son Rienzi ; les librettistes de leur côté l’engagèrent à chercher d’abord un directeur favorable. Des mois se passèrent ainsi. De guerre lasse, il se mit à traduire lui-même, avec l’aide d’un ami, sa Novice de Palerme pour un théâtre de troisième ordre. Quand tout fut fini, revu et corrigé, on trouva que le sujet n’était pas assez amusant ; la pièce fut refusée. Sans se décourager, il se mit à composer des romances pour des chanteurs de salon, espérant se faire connaître par la ; mais sa mélodie expansive et large ne s’accordait pas toujours avec les paroles françaises, il fallut y renoncer. Poussé par le besoin, il alla jusqu’à s’offrir à composer la musique d’un vaudeville de boulevard ; la jalousie d’un homme du métier lui enleva cette dernière ressource. Il fallait vivre pourtant. Il dut se résigner à arranger des airs d’opéra pour le cornet à piston. En même temps il insérait dans la Gazette musicale des articles de critique et plusieurs nouvelles, notamment un Pèlerinage chez Beethoven et la Fin d’un musicien à Paris, où il peignait ses propres infortunes, non sans verve humoristique. Son héros finissait par mourir de faim ; lui-même n’échappa qu’à grand’peine à ce dénoûment tragique.

On se figure aisément ce qu’il y eut d’amer dans toutes ces humiliations pour un artiste rempli des aspirations les plus hautes. Que de beaux et généreux talens se sont usés, avilis, brisés dans ces efforts énervans ! On pourrait supposer que M. Richard Wagner y perdit quelque chose de son énergie. Eh bien ! non, il s’y trempe et s’y bronze pour la vie. Après le labeur pénible, souvent machinal de la journée, dans une situation sans issue, accablé sous le poids de cette solitude si morne pour l’étranger au milieu d’une capitale bruyante et affolée de plaisir, il travaille des nuits entières. Son enthousiasme ne s’éteint pas, son courage redouble, et, pour rester fidèle à la grande musique, il compose une Ouverture de Faust et achève son Rienzi. L’œuvre terminée, il tente une dernière campagne pour la faire agréer à l’Opéra. Rien ne sert ; toutes les portes se ferment devant lui. Deux ans d’efforts désespérés lui avaient valu ce résultat.

Dans cette extrémité, beaucoup d’artistes se brûlent la cervelle en maudissant le monde, la plupart abandonnent l’idéal rêvé et se font les humbles serviteurs de la mode. C’est un signe de