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suivant les ordres de l’empereur, arrivait accablé de fatigue à Fontainebleau le 19 juin, aux environs de midi. Chose singulière ! le concierge du château n’était point prévenu, et témoigna quelque hésitation avant d’ouvrir les grilles de la cour d’honneur au saint-père, dont les appartemens, par une raison ou par une autre, n’étaient point encore préparés[1].

Telles sont, racontées par des témoins oculaires dont les révélations sont pour la première fois livrées au public, les circonstances de ce voyage du pape, dont l’arrivée à Fontainebleau surprit si fort tous les contemporains. Les serviteurs les plus dévoués de l’empire n’avaient rien su à l’avance. Seuls le ministre des cultes et celui de la police avaient été mis dans le secret. Nous nous rappelons avoir entendu raconter à M. Pasquier qu’étant allé un matin chez son supérieur hiérarchique, le duc de Rovigo, il le trouva en proie à une agitation si visible qu’il ne put s’empêcher de lui demander quelle en était la cause. « Ah ! le pape, qui à l’heure qu’il est se meurt peut-être dans l’hospice du Mont-Cenis ! — Quoi ! le pape ? reprit le préfet de police ; mais comment se trouve-t-il là ? » Alors M. de Rovigo raconta ce qui était arrivé, et comment il avait reçu un courrier expédié par le commandant Lagorse. « Et dire, s’écria le duc de Rovigo dans sa colère, que c’est le prince Borghèse, un prince romain, qui ne consent pas à accorder au pape un jour de repos ! Il sera cause de sa mort sur cette montagne, et l’on m’en accusera, et l’on dira que c’est moi qui l’ai tué ! Quel effet dans l’Europe entière ! L’empereur ne me le pardonnera jamais ! »

L’empereur aurait eu tort, si un si fatal accident était survenu, de ne point pardonner soit à son beau-frère, soit à son ministre de la police. C’est uniquement sur lui que serait retombée avec justice cette terrible responsabilité. C’est lui qui, se souvenant des ovations que Pie VII avait jadis recueillies à Grenoble, à Avignon, à Nice et par toute la France lors de sa translation à Savone, avait dicté ces mesures de précipitation et de rigueur dont ses timides agens, effarouchés à la seule idée de son mécontentement, n’avaient pas osé prendre sur eux de s’affranchir. Il nous reste maintenait à raconter comment ce vieillard innocent, qu’il avait espéré aborder bientôt avec tous les avantages d’un vainqueur et l’éclat d’une gloire plus resplendissante que jamais, il ne lui fut au contraire donné que de l’entrevoir un seul instant, entre deux défaites, et pour lui imposer un fantôme de concordat presque aussitôt démenti que signé par le malheureux pontife auquel il avait été violemment arraché.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Lettre du docteur Claraz, manuscrit du British Museum, n° 8,389.