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d’imaginer qu’il n’en soit resté vestige ni dans les instructions fort détaillées que les lords de l’amirauté faisaient tenir aux chefs des escadres anglaises dans la Méditerranée, ni dans les rapports non moins étendus qu’ils recevaient à cette époque des commandans des navires qui croisaient continuellement le long de nos côtes. Nos scrupuleuses investigations dans les papiers généreusement mis à notre disposition nous font même douter qu’aucun bâtiment de la marine britannique se soit, à l’époque indiquée par la lettre de l’empereur, montré en vue de Savone[1]. Deux années plus tôt, il est vrai, au mois de mai 1810, quelques personnes de la domesticité du saint-père avaient cherché à lier communication avec lord Amherst, en Sicile. Des matelots génois déguisés avaient porté de leur part et en grand mystère à M. Gravina et au père Gil, ministre d’Espagne à la cour de Palerme, des lettres écrites à l’encre sympathique. Ces lettres faisaient savoir que, si des bâtimens anglais voulaient essayer d’enlever le pape de sa prison, la réussite de cette entreprise ne serait peut-être pas difficile, parce que la surveillance n’était pas très sévère[2]. Dans le courant de juin de cette même année, deux vaisseaux anglais et espagnols partirent de Sicile, cinglant vers Savone. Ils avaient trouvé les abords de cette ville surveillés par des bâtimens de la marine française. Les ecclésiastiques placés à bord des deux vaisseaux, aussi bien que les marins anglais et espagnols, avaient été d’avis qu’en de pareilles circonstances il serait souverainement imprudent de tenter l’entreprise indiquée par leurs instructions, et que cela ne servirait qu’à donner l’éveil et à compromettre inutilement le saint-père. Lord Amherst terminait la dépêche par laquelle il apprenait à son gouvernement cet échec en disant que le secret avait probablement été mal gardé, et qu’à coup sûr les autorités françaises prendraient désormais leurs précautions pour empêcher une surprise[3].

L’empereur avait-il eu connaissance et gardait-il encore le souvenir en 1812 de cette tentative faite en 1810 ? Voulait-il mettre Pie VII à l’abri d’un coup de main en le transférant à Paris ? Cela est possible. Cependant nous inclinons à croire que la crainte de se voir enlever son prisonnier par les croiseurs anglais ne fut point la cause principale de sa résolution. Ce n’était point la prévision

  1. Non-seulement l’amirauté anglaise a bien voulu nous permettre de feuilleter les instructions les plus secrètes et les plus confidentielles envoyées aux marins anglais dans la Méditerranée, mais les héritiers de M. Croker, qui a longtemps occupé avec distinction le poste de secrétaire du conseil de l’amirauté, ont bien voulu se livrer de leur côté à une semblable investigation parmi les documens qui sont leur propriété personnelle. Leurs recherches n’ont pas plus que les nôtres confirmé l’assertion de l’empereur Napoléon.
  2. Lord Amherst au marquis de Wellesley, 3 mai 1810. — Papiers du foreign office.
  3. Ibid., 5 juillet 1810. — Papiers du foreign office.