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mandataires, s’étaient montrés si satisfaits à Savone. Il n’avait pas cessé depuis d’imposer à M. Bigot la même réserve. Il lui avait aussi prescrit de ne souffrir à aucun prix, et sous quelque prétexte que ce fût, la présence à Paris d’un seul prélat français ou italien. Il devait les renvoyer tous dans leurs diocèses, même ceux qui n’avaient pas leurs bulles. Le but de cette mesure était évident. Elle provenait de la crainte trop fondée qu’avait l’empereur d’être tacitement blâmé par la majorité des membres de l’épiscopat, par ceux-là mêmes qui lui étaient le plus dévoués, s’ils arrivaient à percer le mystère de ce qui se passait alors à Savone. La vérité est qu’ils ne le soupçonnaient que très vaguement, et c’était beaucoup oser que de les vouloir représenter comme approuvant les prétentions impériales, qu’ils ne connaissaient même pas.

Napoléon, exactement instruit des dispositions des ecclésiastiques de son empire et fort peu porté de sa nature à se payer des vaines illusions qu’il s’efforçait de faire accepter aux autres, n’ignorait pas que, dans la querelle engagée entre son gouvernement et le saint-siège, leurs secrètes sympathies étaient, à bien peu d’exceptions près, du côté de son adversaire. Il agissait en conséquence, et tous ses actes, spontanés ou réfléchis, lui furent à cette époque dictés par ce très juste sentiment de sa véritable situation. Toutefois, si l’appréciation de l’empereur était en elle-même parfaitement fondée, il s’en faut de beaucoup que les mesures auxquelles il eut recours fussent politiques, sensées ou seulement équitables ; nos lecteurs vont en juger. Napoléon n’avait pas oublié la résistance qu’il avait jadis rencontrée de la part de l’ancien directeur des sulpiciens, l’abbé Émery. Plus d’une fois il s’était plu, on s’en souvient, à lui rendre lui-même justice, notamment le jour où il l’avait, au détriment de ses collègues de la commission ecclésiastique, loué si haut en pleine séance du conseil d’état, puis dans sa conversation avec M. Mole, quand il s’était écrié « qu’il mourrait tranquille, s’il pouvait laisser à un tel homme le soin d’élever la jeunesse de son empire. » Le temps de ces sages paroles était maintenant passé, et Napoléon n’écoutait plus désormais que son ressentiment. Des sulpiciens élèves de l’abbé Émery, tous imbus de ses fortes doctrines gallicanes, mais non moins dévoués que lui au saint-père, gouvernaient encore à ce moment la plupart des séminaires, et servaient presque partout d’instructeurs au futur clergé de France. N’était-il pas à craindre que, par la diffusion de leur enseignement, par l’autorité de leur exemple, ils ne réussissent à pervertir les nouvelles recrues du corps ecclésiastique ? Cela ne devait point se souffrir. Le 8 octobre 1811, il avait écrit d’Utrecht a son ministre des cultes : « Je ne veux point de sulpiciens dans le séminaire de Paris, je vous l’ai dit cent fois ; je vous le répète pour la dernière.