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séquestration du souverain pontife. Afin que nos lecteurs soient en état de former eux-mêmes leur jugement et de mieux discerner de quel côté se produisirent les prétentions excessives et les procédés regrettables, nous avons mis sous leurs yeux les dépêches mêmes des acteurs qui ont pris part à ce drame diplomatique passablement étrange, dont jusqu’à présent aucun historien ecclésiastique ou laïque n’avait fait mention. Notre tâche resterait toutefois incomplète, si nous nous laissions exclusivement absorber par le spectacle de cette sorte de duel inégal, et d’autant plus émouvant, qui va s’animant chaque jour davantage entre le tout-puissant maître de la France et son malheureux prisonnier. Il nous faut maintenant dire un mot des affaires intérieures de l’église, et rendre compte des rapports entretenus par Napoléon avec le clergé de son empire pendant tout le temps qu’avaient duré les tristes et inutiles négociations de Savone.

Comme à notre ordinaire, nous recourrons principalement, pour découvrir la vérité, aux témoignages de Napoléon lui-même ; mais, comme à notre ordinaire aussi, nous irons de préférence la saisir là où elle se trouve en réalité, c’est-à-dire dans sa correspondance avec les agens auxquels il disait sa pensée tout entière. Les rapports officiels des fonctionnaires publics, les pièces d’apparat écrites ou dictées par Napoléon, ne sauraient trouver créance qu’auprès de gens décidés à s’y laisser tromper. Dans la circonstance qui nous occupe, le contraste entre le langage du maître et le fond même des choses est on ne peut plus frappant. S’il est en effet une assertion incessamment répétée à Savone, que nous ayons vue se produire avec une imperturbable solennité non-seulement dans les conversations du préfet de Montenotte avec Pie VII, non-seulement dans la bouche des cardinaux chargés de servir de conseil au saint-père, non-seulement dans les notes passées par les évêques qui avaient mission de traiter avec lui, mais encore dans les dépêches dictées par l’empereur lui-même, c’est l’assurance que le clergé de France avait, dans la querelle pendante, pris parti à l’unanimité et comme un seul homme pour son prince temporel contre le chef de sa foi. Il n’en était rien cependant, et l’empereur le savait bien ; il en était même passablement inquiet. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir ses lettres, non pas, il est vrai, celles qui devaient être envoyées à Savone et commentées par M. de Chabrol, mais celles qu’il adressait à son ministre des cultes et pour lui seul.

Nous avons déjà eu l’occasion de constater que Napoléon, tandis qu’il était encore en Hollande, n’avait rien tant recommandé à son ministre des cultes que de tenir fort secret pour tout le clergé, même pour son oncle le cardinal Fesch, ce bref du 24 septembre, dont les cardinaux et les évêques français, ses propres