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Quand cette lettre singulière parvint à son adresse, les cardinaux et les évêques, obéissant aux ordres qu’ils avaient précédemment reçus, étaient déjà partis de Savone sans avoir pu obtenir du pape, cette approbation pure et simple sans laquelle il leur était interdit d’y prolonger leur séjour. Ce fut à M. de Chabrol qu’incomba la tâche désagréable d’en donner communication à Pie VII.

« Après avoir pris connaissance de toutes les. pièces que vous m’avez transmises, je me suis rendu ce matin chez le pape, écrit-il le 19 février 1812. J’ai commencé par amener brusquement sa sainteté sur le sujet de manière à fixer toute son attention… J’ai ajouté que, contre mon attente, la Providence lui ouvrait encore une voie inespérée, comme si elle voulait elle-même le ramener, ou du moins le convaincre que, s’il perdait tout, c’était sa faute et sa faute réitérée… Il m’a dit qu’il était prêt à m’entendre. J’ai pris alors la dépêche, et je lui ai demandé s’il voulait que je la lusse en français lentement ou que je la traduisisse en italien. Il a préféré que je la lusse posément en, français, ce que j’ai fait, observant de lire deux fois les passages les plus forts et ceux que je croyais qu’il n’avait pas tout à fait saisis. »


Dans sa dépêche, le préfet de Montenotte relate la suite des impressions diverses éprouvées par le malheureux captif au fur et à mesure que lecture lui est donnée de cette espèce d’acte d’accusation.


« Il s’est récrié, mande M. de Chabrol, sur le mot : « on espère des troubles. » Il a protesté que non. J’ai repris : Vous avez donc oublié que vous n’avez cessé pendant longtemps de me parler de schisme et de dire que vous le voyiez arriver. Au moment où je lui ai parlé de conscience et de celle de cent évêques qui réclamaient une conciliation comme indispensable, il a dit qu’il avait voulu y plier la sienne, mais qu’il n’avait pu la tranquilliser. Je lui ai dit qu’au moins il ne devait pas l’avouer. Quel effet produirait un pareil discours sur la chrétienté, tandis qu’il est par sa place chargé de diriger la conscience de tous les fidèles ? Ne point distinguer dans un cas aussi, simple le bien du mal serait se démettre soi-même… Mais l’article qui l’a ému le plus est celui où il est question de la demande de sa démission. Il l’a écouté avec une émotion profonde. Je l’ai vu abattu et tellement agité que sa main tremblait singulièrement. Il a gardé le silence le plus absolu… L’effet général de la communication que je viens de faire a été de détromper le pape sur un reste d’espoir que je crois qu’il conservait encore en se fondant sur ce que sa lettre n’avait pas encore reçu de réponse, et en comptant sur l’intervention des cardinaux à Paris. Il a été très ému, je ne crois pas qu’il ait été ébranlé[1]… »


Dans la visite qu’il lui rendit encore le lendemain, le préfet de

  1. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 19 février 1812.