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générations doivent se succéder avant qu’un changement réellement appréciable ait été réalisé. Le temps devient ici un élément nécessaire à l’accomplissement du phénomène, et se compte par centaines, par milliers de siècles. L’hérédité joue un rôle important ; elle ne se borne pas à transmettre les modifications acquises, elle les conserve toutes et les accumule, amenant ainsi peu à peu des différences que rien n’eût permis de prévoir et dont les origines sont d’ordinaire impossibles à retrouver. Lamarck et Darwin sont les représentans les plus élevés de cet ordre d’idées, du moins parmi les naturalistes qui ont cherché dans l’expérience et l’observation les bases de leur théorie[1]. Il est même difficile de les séparer malgré les différences qui existent entre eux sur quelques points essentiels, malgré la supériorité de la conception du savant anglais. À chaque instant en effet, l’étude de l’un réveille le souvenir de l’autre, et cela presque autant par les contrastes que par les analogies de la pensée et de l’expression.

Lamarck et Darwin, partant des êtres les plus élevés en organisation, signalent la dégradation progressive présentée par l’ensemble des règnes, et arrivent ainsi aux formes les plus simples. Tous deux voient dans ces dernières les représentans, au moins extrêmement voisins, des formes initiales d’où proviennent toutes les espèces supérieures. Le naturaliste français cherche à rendre compte de l’existence de ces protoorganismes, de leur persistance dans le temps et dans l’espace ; il trouve une explication facile et logique de ces faits dans la génération spontanée, à laquelle il rattache l’apparition des premiers êtres vivans, et qu’il regarde comme s’accomplissant encore journellement sous l’empire des forces physico-chimiques. Celles-ci, pense-t-il, organisent constamment et de toutes pièces les premières ébauches animales et végétales ; la différenciation des deux règnes est le résultat de leur action uniforme, mais s’exerçant sur des matériaux quelque peu différens. Dans cette hypothèse, la présence, partout reconnue, des infusoires les plus simples, des algues les plus rudimentaires, n’a plus rien d’étrange. Le monde inorganique fournit incessamment des matériaux qui, vivifiés par la cha-

  1. Sans cette réserve, il eût été injuste de ne pas placer à côté des deux savans que je nomme l’illustre chef des naturalistes philosophes de la nature, Oken, qui a exercé une si grande influence, surtout en Allemagne, et qui a compté parmi ses disciples quelques-uns des naturalistes les plus éminens de ce pays ; mais, comme je l’ai déjà dit, Oken, partisan enthousiaste de Schelling, cherchait dans les faits la confirmation de ses a priori bien plus qu’il ne leur demandait une science positive. Aussi ses conceptions générales, aujourd’hui à peu près abandonnées, sont-elles presque autant du ressort de la métaphysique que du domaine des sciences naturelles. Voilà pourquoi j’ai cru ne pas devoir en parler, malgré l’intérêt que présenterait la comparaison de quelques-uns des résultats admis par Oken avec ceux auxquels sont arrivés d’autres naturalistes.