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ont perdu les parties molles qu’ils protégeaient ou qui les enveloppaient. Si des analogies plus ou moins exactes permettent parfois de concevoir approximativement ce qu’étaient les animaux perdus, toujours est-il qu’en réalité nous ne les connaissons pas. Par cela seul, et même à ne tenir compte que de la forme, bien des élémens d’appréciation sont perdus pour nous. Le genre cheval, si instructif à tant de titres, nous en a fourni un exemple frappant. Par-dessus tout, dans les animaux, dans les plantes, il y a autre chose à considérer que la matière modelée par la vie. Il faut tenir compte de la vie elle-même, ou mieux de ses manifestations. À côté de la morphologie et de l’anatomie vient se placer la physiologie, et, s’il est un phénomène essentiellement physiologique, essentiellement vital, c’est celui de la reproduction, de la filiation des êtres. Comment aborder les problèmes qui touchent de près ou de loin à ceux qui nous occupent, si l’on se place dans des conditions telles qu’on ne puisse utiliser ce qui, dans notre savoir, a le plus de rapport avec eux ? Pour quiconque entend rester sur le terrain de la science, les diverses théories transformistes sont avant tout des questions de physiologie générale. C’est principalement à ce point de vue que nous les envisagerons dans la suite de ce travail.

Constatons d’abord que, considérées ainsi, toutes les théories transformistes se partagent naturellement en deux groupes bien distincts. Les unes veulent que la transformation s’opère brusquement, sans transition, et que la modification puisse être assez considérable pour faire apparaître non-seulement une espèce nouvelle, mais même un type inconnu jusque-là. De Maillet regardant comme possible la métamorphose d’un poisson en oiseau, Geoffroy Saint-Hilaire faisant naître directement celui-ci d’un reptite, représentent cet ordre d’idées, quelles que soient d’ailleurs les différences énormes qui les séparent. Ici le temps n’intervient en rien ; l’hérédité n’agit qu’en transmettant les caractères subitement apparus. Dans cette hypothèse par conséquent, un assez petit nombre de générations auraient suffi pour donner naissance à toutes les formes que nous connaissons, alors même qu’elles descendraient toutes soit de quelques types initiaux, soit d’un seul prototype premier. La doctrine de Geoffroy en particulier se prêterait parfaitement à cette dernière conclusion, énoncée par Darwin comme ressortant avec logique de ses propres idées.

Dans les théories du second groupe, dont nous nous occupons surtout, les choses se passent bien différemment. Les espèces engendrées ne se détachent des espèces parentes que par degrés à peine marqués. Pour s’élever ou s’abaisser, elles ont à gravir ou à descendre des pentes à peine sensibles ; d’innombrables